Bières des départements du Nord, 1804 par Dieudonné, dans un livre de statistiques.

Il y a quelques nuances dans la manière de faire la bière entre les arrondissements du nord et ceux du sud du département. Dans les premiers qui sont ceux de Bergues, Hazebrouck, Lille, on la fait plus forte; on y emploie, en conséquence, plus de grain; aussi est-elle plus chère. Quelques villes aussi se disputent l’avantage de fabriquer la meilleure : telles sont, entr’autres, Armentières, Lille, Douai.
Quoiqu’il en soit de leurs prétentions réciproques, on doit dire que la bière fabriquée par les bons brasseurs du département du Nord est d’une bonne qualité, susceptible d’être gardée en provision pendant plusieurs mois, quelquefois une année entière, et pouvant être en vidange dans une futaille pendant un mois ou deux sans perdre sensiblement de sa qualité; aussi ne la met-on pas en bouteilles ; c’est ce qui la distingue essentiellement des bières des anciens départements du Rhin, qui ne peuvent soutenir la vidange lente d’une futaille, et doivent être mises en cruchons ou bouteilles si on veut les conserver.

En général, dans le département du Nord, une brasserie a deux chaudières : la première sert à chauffer l’eau qui se transvase ensuite dans la seconde chaudière où la bière se fait réellement.
C’est surtout à Lille et dans l’arrondissement que ce procédé a généralement lieu. Les brasseurs prétendent qu’il en résulte une économie de temps considérable et une plus grande perfection dans la bière. Il y en a qui ont jusqu’à trois chaudières, mais toujours une seule sert à la cuisson définitive de la bière ; au lieu de trois à quatre brassins par semaine , ces brasseurs peuvent en faire six ou sept, par l’économie du temps.

A Dunkerque, on n’a pas l’habitude d’employer plusieurs chaudières, parce que, dit-on, les eaux, par leur qualité saline, enlèvent, en très peu de temps, la substance du grain.
Comme je l’ai dit au chapitre précédent, la quantité moyenne de grain employée pour la fabrication d’un hectolitre de bière, dans tout le département, est de 59 litres 3 décilitres.
Les bons brasseurs mettent, pour cette quantité de grain, 1 kilogramme de houblon de première qualité, pour la bière de saison, et environ 1/9 de moins pour celle qui se fait en brumaire et frimaire , et qui dure trois ou quatre mois seulement.
Les brasseurs du département emploient le houblon cultivé dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Lys. Celui de Poperingue, (Lys), est le plus estimé.

Il y a de deux sortes de houblon de Poperingue, savoir: le houblon dit de 1ère qualité et le houblon rouge. Ce houblon rouge ne convient pas, dit-on, aux eaux du département, notamment à celles des arrondissements d’Hazebrouck, Lille et Douai; il rend la bière maigre, trouble, et la fait aigrir au bout de deux mois.
Avant les gelées, cependant, la même quantité de ce houblon peut suffire pour une bière qui doit être bue un mois ou six semaines après; mais pendant et après les gelées, il en faudrait le double, et encore ne serait-on pas sûr de réussir.
Les brasseurs de Lille prétendent aussi que, lorsqu’ils emploient le houblon de Bousies, arrond. d’Avesnes, il faut en mettre un quart de plus, première qualité; que cette espèce de houblon maigrit la bière.
Ne serait-ce pas un reproche dicté par la routine? on est tenté de le croire, lorsque l’on voit les mêmes brasseurs assurer que le houblon de Bousies convient parfaitement aux eaux de Douai et des environs, qui cependant ne paraissent pas être d’une nature différente de celle des eaux de Lille.

Quelques brasseurs ont essayé de remplacer le houblon par la coriandre , qui coûte 40 à 50 centimes le kilogramme, en en employant 5 kilogrammes par hectolitre ; mais ils n’ont rien fait de bon.
Cependant, on est quelquefois obligé de recourir à cette graine pour corriger le mauvais goût du houblon , lorsqu’il a été emballé trop vite et qu’il est échauffé.

On voit, avec inquiétude, des brasseurs faire des provisions annuelles de chaux ; on prétend qu’ils en emploient une certaine quantité par brassin pour donner de la couleur à la bière. J’aime à croire que ce reproche ne regarde que les mauvais brasseurs, et que les autres ne se jouent point d’une manière aussi dangereuse de la confiance publique.
Les brasseurs sont dans l’usage de fournir les tonnes dans lesquelles les particuliers font leur approvisionnement; mais ces derniers payent, chaque fois, des frais de reliage qui, équivalent au lover de ces tonnes; de façon que l’ou peut dire que le brasseur n’a d’autre charge que l’avance des fonds destinés à l’achat de 200 à 250 tonnes dont il doit s’approvisionner.

A Lille, ils ont chez-eux un ou deux chevaux pour le transport de leur bière; à Douai, ils n’en ont point ; ce transport se fait par les charretiers du rivage. Dans l’un comme dans l’autre cas, les frais de transport sont au compte du particulier.
Les brasseurs, dans toute l’étendue du département, n’usent que de charbon de terre pour la cuisson de leur bière. Ils se servent de grandes chaudières de cuivre, dont la capacité varie depuis 100 hectolitres jusqu’à 20 et même 15. J’ai parlé précédemment de ces chaudières.

Lorsque la bière est brassée et retirée de la chaudière, les brasseurs jettent de l’eau sur le marc, et la laissent bouillir pendant 14, 15 et 16 heures. Ils en retirent environ le sixième ou le quart du brassin d’une liqueur potable, que l’on appelle petite bière; ils la vendent environ un franc 50 centimes l’hectolitre.
Au reste, les brasseurs ne tirent parti que de la plus faible portion de cette petite bière, leur usage étant d’en donner gratuitement à celles de leurs pratiques qui en demandent.

Le prix de la bière varie chaque année en raison du prix grain et du houblon. On l’estime à une moyenne de 13Fr. par hectolitre.

On pourrait ajouter encore aux produits, 1. les marcs qui sont vendus aux cultivateurs, et qui servent à engraisser les bestiaux; 2. la levure dont je vais parler.
Sur ces produits il faut prendre les frais de journées d’ouvriers , location et entretien des bâtiments, ustensiles. On est fondé à croire qu’il reste un gros bénéfice net aux brasseurs ; car, généralement, ils se font en peu de temps des maisons riches et solides.
Lil quantité de bière qui n’est pas consommée dans le département, est exportée dans ceux voisins, et dans ceux de l’intérieur, surtout. En temps de paix, il s’en embarque quelquefois pour les côtes de France.
On convertit aussi une certaine quantité de bière en vinaigre pour la consommation du pays.