La bière de ferme, et boissons pour les travailleurs.

J’ai lu à plusieurs reprises, sur quelques sites, que les bières de saison étaient données aux travailleurs de ferme et que par le fait même, ces bières étaient à faible taux d’alcool.
En me penchant dans des vieux livres sur la brasserie et d’autres sur l’économie rurale, je me suis vite aperçu que la notion de bière Saison est largement falsifiée.
La bière de saison était apparement préparée avec beaucoup de soin pour qu’elle puisse passer l’hiver et, assez forte et houblonnée pour ne pas se gâter.
On retrouve essentiellement de la bière blanche de Liège, faite à partir d’épeautre et de la grisette qui sont dites de saison, à la fin du 19ième siècle.
Elles étaient conservées dans des tonneaux. Et encore une fois, il ne faut pas se tromper, le bois n’était pas forcément nu et était souvent enduit de poix. Il y avait un soin tout particulier au traitement du tonneau pour éviter toute contamination de la bière mais aussi de transmettre le goût du bois à la bière.
Parlons de la grisette. On lit ici et là que c’était la bière donnée aux mineurs de fond. J’ai beaucoup de mal à croire qu’elle ait été brassée pour eux. Pelset a fait un traité complet sur sa préparation et la compare à la bière de Bavière, qui était très considérée. Peut-être que les mineurs se la sont appropriée, après leur dur labeur.

Revenons à nos vaillants travailleurs des champs et à ce qu’il consommaient.

Dans un cours d’économie rurale allemand de M. Goeritz et traduit en français en 1850, on retrouve au détour d’un texte sur la classification de la bière:
“[…]En bière forte ou bière double, pour laquelle on prend plus de 54 litres de malt par hectolitre et du houblon en proportion. On range dans cette classe les bières doubles de la Saxe, de Thuringen, de Prusse, de Bavière, pour lesquelles on emploie de 75 à 1 05 litres de malt et 640 à 800 grammes. de houblon par hectolitre; les porters anglais, brassés avec 60 jusqu’à 88 litres de malt ; l’ale anglais, la plus forte de toutes les bières connues, brassé avec 88 jusqu’à 130 litres de malt et 640 à 1,100 grammes. de houblon par hectolitre.
Indépendamment de ces bières, on obtient encore de la petite bière ou bière légère , dite de deuxième trempe, en versant de l’eau sur le malt qui a servi à fabriquer la bière forte, et qui fournit une boisson pour les ouvriers pendant la moisson.”

Tout comme dans les pays viticoles où les travailleurs buvaient de la piquette, on voit bien que les travailleurs de ferme ne buvaient pas de la bonne bière forte de première qualité comme certains veulent le faire croire. Ce serait d’ailleurs incompréhensible d’enivrer des travailleurs et surtout de leur donner des produits chers pour leur éviter de boire de l’eau.

Et en parlant de piquette, j’ai trouvé ces recettes économiques pour nos chers travailleurs.

“La boisson la plus économique, la plus saine et la moins dispendieuse, est la suivante, que tout cultivateur jaloux de conserver la santé de ses ouvriers doit préparer aux époques de la fauchaison et de la moisson, époques auxquelles il ne doit point permettre que ses travailleurs boivent de l’eau pure. Nous donnons plusieurs formules afin que l’on puisse choisir.
 Crème de tartre, 100 gram. (3 onces 1/2)
Racine de réglisse 250 gram. (8 onces)
Eau bouillante, 20 litres ,
Eau-de-vie à 19 degrés, 1 litre.
On fait bouillir le sel et la réglisse jusqu’à ce que la crème de tartre soit dissoute ; on retire du feu ; on laisse déposer ou l’on passe dans un tamis serré; après refroidissement on verse le tout dans un baril en ajoutant l’eau-de-vie. Cette boisson se consomme de suite.
 Crème de tartre , 100 gram.
Sucre brut, 750 gram.(1 liv. 1/2)
Ou sirop à 35˚, 1000 gram. (2 .)
Eau bouillante; ce qu’il faut pour dissoudre le tout. Ajoutez ce qui manque d’eau  obtenir 20 litres.
Alcool 3/6, 1 litre, ou eau-de-vie à 18˚, 2 litres.
Mettez en bouteilles bien bouchées. On peut ajouter quelques aromates, tels que fleurs de sureau, de mélilot,graine de coriandre, etc.
Dans le Midi on se servira des écorces de citrons, oranges, etc.
On peut remplacer la crème de tartre par le tiers en poids d’acide tartrique ou citrique.
 Sucre brut, 1 kilog. 250 gram. (2 1/2 liv.)
Sirop à 35˚, 1 kilog. 750 (3 1/2 liv.)
Vinaigre fort, 1/2 lit.
Fleur de sureau ou autre, 8 gram.
Faites fondre le sucre, ajoutez le sureau et le vinaigre, faites 20 litres de liqueur à laquelle on peut ajouter un litre d’eau-de-vie; mettez en bouteilles ou en cruchons bien bouchés, qui restent couchés 4 ou 5 jours au plus dans cet état; on les relève ensuite, on boit cet hydromel après 8 ou 10 jours, suivant la température.
II est inutile d’indiquer comment on peut varier la composition de cette boisson du laboureur; quelques essais en apprendront assez aux ménagères. Dans les campagnes, on profitera de la chaleur du four, après la cuisson du pain, pour faire sécher les cerises, abricots, prunes, pommes, poires, qui ne peuvent être vendus ou consommés. Ces fruits secs bouillis dans l’eau entreront dans la composition des piquettes. Si on ne peut les faire sécher, on en formera des marmelades par une cuisson suffisante et addition d’un peu de miel ou sirop quelconque; ces marmelades délayées donneront une boisson agréable.”