Bières des départements du Nord, 1804 par Dieudonné, dans un livre de statistiques.

Il y a quelques nuances dans la manière de faire la bière entre les arrondissements du nord et ceux du sud du département. Dans les premiers qui sont ceux de Bergues, Hazebrouck, Lille, on la fait plus forte; on y emploie, en conséquence, plus de grain; aussi est-elle plus chère. Quelques villes aussi se disputent l’avantage de fabriquer la meilleure : telles sont, entr’autres, Armentières, Lille, Douai.
Quoiqu’il en soit de leurs prétentions réciproques, on doit dire que la bière fabriquée par les bons brasseurs du département du Nord est d’une bonne qualité, susceptible d’être gardée en provision pendant plusieurs mois, quelquefois une année entière, et pouvant être en vidange dans une futaille pendant un mois ou deux sans perdre sensiblement de sa qualité; aussi ne la met-on pas en bouteilles ; c’est ce qui la distingue essentiellement des bières des anciens départements du Rhin, qui ne peuvent soutenir la vidange lente d’une futaille, et doivent être mises en cruchons ou bouteilles si on veut les conserver.

En général, dans le département du Nord, une brasserie a deux chaudières : la première sert à chauffer l’eau qui se transvase ensuite dans la seconde chaudière où la bière se fait réellement.
C’est surtout à Lille et dans l’arrondissement que ce procédé a généralement lieu. Les brasseurs prétendent qu’il en résulte une économie de temps considérable et une plus grande perfection dans la bière. Il y en a qui ont jusqu’à trois chaudières, mais toujours une seule sert à la cuisson définitive de la bière ; au lieu de trois à quatre brassins par semaine , ces brasseurs peuvent en faire six ou sept, par l’économie du temps.

A Dunkerque, on n’a pas l’habitude d’employer plusieurs chaudières, parce que, dit-on, les eaux, par leur qualité saline, enlèvent, en très peu de temps, la substance du grain.
Comme je l’ai dit au chapitre précédent, la quantité moyenne de grain employée pour la fabrication d’un hectolitre de bière, dans tout le département, est de 59 litres 3 décilitres.
Les bons brasseurs mettent, pour cette quantité de grain, 1 kilogramme de houblon de première qualité, pour la bière de saison, et environ 1/9 de moins pour celle qui se fait en brumaire et frimaire , et qui dure trois ou quatre mois seulement.
Les brasseurs du département emploient le houblon cultivé dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Lys. Celui de Poperingue, (Lys), est le plus estimé.

Il y a de deux sortes de houblon de Poperingue, savoir: le houblon dit de 1ère qualité et le houblon rouge. Ce houblon rouge ne convient pas, dit-on, aux eaux du département, notamment à celles des arrondissements d’Hazebrouck, Lille et Douai; il rend la bière maigre, trouble, et la fait aigrir au bout de deux mois.
Avant les gelées, cependant, la même quantité de ce houblon peut suffire pour une bière qui doit être bue un mois ou six semaines après; mais pendant et après les gelées, il en faudrait le double, et encore ne serait-on pas sûr de réussir.
Les brasseurs de Lille prétendent aussi que, lorsqu’ils emploient le houblon de Bousies, arrond. d’Avesnes, il faut en mettre un quart de plus, première qualité; que cette espèce de houblon maigrit la bière.
Ne serait-ce pas un reproche dicté par la routine? on est tenté de le croire, lorsque l’on voit les mêmes brasseurs assurer que le houblon de Bousies convient parfaitement aux eaux de Douai et des environs, qui cependant ne paraissent pas être d’une nature différente de celle des eaux de Lille.

Quelques brasseurs ont essayé de remplacer le houblon par la coriandre , qui coûte 40 à 50 centimes le kilogramme, en en employant 5 kilogrammes par hectolitre ; mais ils n’ont rien fait de bon.
Cependant, on est quelquefois obligé de recourir à cette graine pour corriger le mauvais goût du houblon , lorsqu’il a été emballé trop vite et qu’il est échauffé.

On voit, avec inquiétude, des brasseurs faire des provisions annuelles de chaux ; on prétend qu’ils en emploient une certaine quantité par brassin pour donner de la couleur à la bière. J’aime à croire que ce reproche ne regarde que les mauvais brasseurs, et que les autres ne se jouent point d’une manière aussi dangereuse de la confiance publique.
Les brasseurs sont dans l’usage de fournir les tonnes dans lesquelles les particuliers font leur approvisionnement; mais ces derniers payent, chaque fois, des frais de reliage qui, équivalent au lover de ces tonnes; de façon que l’ou peut dire que le brasseur n’a d’autre charge que l’avance des fonds destinés à l’achat de 200 à 250 tonnes dont il doit s’approvisionner.

A Lille, ils ont chez-eux un ou deux chevaux pour le transport de leur bière; à Douai, ils n’en ont point ; ce transport se fait par les charretiers du rivage. Dans l’un comme dans l’autre cas, les frais de transport sont au compte du particulier.
Les brasseurs, dans toute l’étendue du département, n’usent que de charbon de terre pour la cuisson de leur bière. Ils se servent de grandes chaudières de cuivre, dont la capacité varie depuis 100 hectolitres jusqu’à 20 et même 15. J’ai parlé précédemment de ces chaudières.

Lorsque la bière est brassée et retirée de la chaudière, les brasseurs jettent de l’eau sur le marc, et la laissent bouillir pendant 14, 15 et 16 heures. Ils en retirent environ le sixième ou le quart du brassin d’une liqueur potable, que l’on appelle petite bière; ils la vendent environ un franc 50 centimes l’hectolitre.
Au reste, les brasseurs ne tirent parti que de la plus faible portion de cette petite bière, leur usage étant d’en donner gratuitement à celles de leurs pratiques qui en demandent.

Le prix de la bière varie chaque année en raison du prix grain et du houblon. On l’estime à une moyenne de 13Fr. par hectolitre.

On pourrait ajouter encore aux produits, 1. les marcs qui sont vendus aux cultivateurs, et qui servent à engraisser les bestiaux; 2. la levure dont je vais parler.
Sur ces produits il faut prendre les frais de journées d’ouvriers , location et entretien des bâtiments, ustensiles. On est fondé à croire qu’il reste un gros bénéfice net aux brasseurs ; car, généralement, ils se font en peu de temps des maisons riches et solides.
Lil quantité de bière qui n’est pas consommée dans le département, est exportée dans ceux voisins, et dans ceux de l’intérieur, surtout. En temps de paix, il s’en embarque quelquefois pour les côtes de France.
On convertit aussi une certaine quantité de bière en vinaigre pour la consommation du pays.

Bière de Liège ou de Saison ?

Dans la ville de Liège et tous ses environs, on prépare deux espèces de bières fort connues dans le pays sous les noms de bière jeune et bière de saison. Ce sont deux espèces de bières assez ambrées, surtout la seconde, qui est une bière de garde assez forte qu’on ne consomme que quatre à six mois après sa fabrication, et qu’on ne prépare guère que dans la bonne saison d’où elle a sans doute tiré son nom, tandis que la bière jeune, comme le dit son nom, se consomme très-fraiche, souvent au bout de dix à quinze jours. Cette dernière se brasse toute l’année, à l’exception toutefois des temps de forte chaleur qui se font respecter par la plupart des brasseurs.
Les céréales qu’on emploie généralement pour préparer ces deux espèces de bière sont l’orge, l’épeautre, le froment et l’avoine; mais un assez grand nombre de brasseurs n’emploient en hiver ni orge ni avoine, c’est surtout l’épeautre qui fait la base de cette fabrication. L’épeautre et l’orge sont seuls soumis à la germination, encore ne la pousse-t-on pas fort loin, on l’arrête généralement dès que les racines ont un centimètre de long. La dessiccation se commence généralement à l’air et s’achève aux tourailles ordinaires. Les grains germés et non germés sont généralement mélangés ensemble avant d’être écrasés aux meules. Voici d’après un homme digne de foi la composition ordinaire des brassins faits dans une brasserie liégeoise. Pour un brassin de 65 à 70 hectolitres de bière jeune ou 42 à 45 hectolitres de bière de saison l’on emploie 1200 kilog. de drèche ou matière farineuse consistant ordinairement en épeautre germé et froment non germé. Le mélange farineux est versé dans une cuve-matière de 35 hectolitres de capacité, ce qui fait un peu plus de 37 kilogrammes par hectolitre de cuve-matière, et l’on donne, par le faux bac à jeter, huit à dix tonnes d’eau marquant 40 à 45 degrés centigrades; l’on fait plonger la farine pour l’hydrater, puis on ajoute de l’eau bouillante jusqu’à ce que la cuve-matière soit pleine ; dès lors on brasse fortement à six hommes, et dès que le mélange est parfait on laisse reposer un quart d’heure a une demi-heure, puis on fait écouler le moût dans le bac reverdoir. Dès que le moût de ce premier métier ne coule plus ou très faiblement, on donne de nouvelle eau bouillante, assez pour remplir la cuve-matière, et l’on brasse comme la première fois; l’on fait ainsi successivement quatre trempes dont les trois dernières à l’eau bouillante, et si l’on veut obtenir de la bière jeune, les divers métiers sont tous réunis dans la même chaudière ou dans la même cuve-guilloire, après avoir subi une ébullition assez vive, mais de deux à trois heures seulement, avec 3/4 de livre de houblon jeune par tonne de moût. L’ébullition ayant communément lieu en chaudière ouverte, l’évaporation est assez forte et l’on compte généralement qu’il faut dans la chaudière 88 à 90 hectolitres de moût pour obtenir 65 à 70 hectolitres de bière jeune fermentée.

Si l’on veut préparer de la bière de saison, les trois premiers métiers subissent une ébullition très-vive durant six à huit heures avec 2 à 3 livres de bon houblon jeune par tonne de bière. Pour préparer cette bière l’ébullition, qui a généralement lieu en vase découvert, est si forte que le moût est par l’évaporation réduit aux 3/4 de son volume primitif, du moins c’est ainsi qu’on opérait communément en 1837. Le moût de l’une et de l’autre de ces deux espèces de bières après la cuisson repose deux heures environ dans le bac à houblon, d’où on le soutire dans les bacs refroidissoirs lorsqu’il est bien déposé et parfaitement clair. Après l’avoir laissé refroidir jusqu’à 25 ou 26 degrés par les temps froids, et autant que possible à 20 ou 22 en été, on le fait couler lentement dans la cuve-guilloire où l’on y ajoute deux à trois décilitres de levure par hectolitre de moût, puis on entonne immédiatement dans de petites futailles qu’on porte dans un cellier convenable pour lui faire subir une fermentation qui dure, deux à trois jours en été et trois ou quatre en hiver. Dès qu’on a recueilli la levure on remplit les futailles, on les bouche et si c’est de la bière de saison on l’emmagasine pour trois ou quatre mois au moins ; si c’est de la bière jeune on commence à la livrer aux consommateurs au bout de huit à dix jours en été, et dans trois semaines à un mois en hiver.

La bière de saison dont le moût final avant la fermentation marque 6 à 7 degrés Beaumé, se conserve assez bien pendant un à deux ans, pourvu que les futailles soient dans un endroit frais et que la bière soit brassée en hiver ; car les bières de ce genre qu’on brasse quelque fois en avril ou mai s’aigrissent souvent avant la fin de l’été de la même année. Je crois utile de faire observer que dans la plupart des brasseries de Liège, pour préparer les bières ci-dessus mentionnées on est dans l’habitude de faire la trempe d’autant plus chaude, et d’autant plus promptement que la saison est plus chaude, et en cela on a parfaitement raison; car la température à laquelle se prépare le premier métier, en hiver, ne dépassant guère 45 à 50 degrés, la saccharification se fait mal, par suite, la filtration du premier métier est fort lente et fort difficile, et, eu raison- des matières premières qu’on emploie, le mélange serait fort exposé à contracter une fermentation lactique ou visqueuse, en été surtout, si la température du mélange n’était pas plus élevée.

Vu la nature des grains et la composition des mélanges farineux qu’on brasse généralement dans la province de Liège, je dois dire que la méthode communément usitée, pour le travail dans la cuve-matière, est très-défectueuse, car les matières qu’on brasse sont trop compactes, trop féculentes, trop azotées et la cuve-matière toujours trop remplie pour pouvoir bien faire le premier et souvent le second métier. Pendant ces deux trempes et durant la première surtout, la température est trop basse et la proportion d’eau trop faible pour produire une bonne fermentation saccharine ; aussi le premier métier coule toujours lentement, passe fort trouble, souvent même épais, au point qu’on devrait toujours employer les paniers, stuyk-manden , pour l’effectuer plus promptement ;car comme je l’ai expliqué dans la première partie, une filtration lente dans les conditions que je viens de mentionner est très- dangereuse pour le brassin ; aussi dans la province de Liège, surtout en été boit-on plus de mauvaises que de bonnes bières.

Pour traiter les proportions, ci-dessus mentionnées, de froment non germé et d’épeautre, il serait bien préférable de suivre la méthode de Malines, ou mieux encore celle de Louvain perfectionnée comme j’ai dit à l’article de cette bière ; mais, dira-t-on, on n’obtiendrait pas alors la même bière ? Non, sans doute, la bière n’aurait pas exactement le même goût, car elle serait bien meilleure ; mais elle aurait une grande analogie avec elle si l’on observait les mêmes proportions, et puis, doit-on tenir à une bière quand elle est souvent gâtée ou mauvaise, et tout au moins fort médiocre en qualité, quoique préparée avec de très- bonnes matières premières ?

Une tonne à Liège doit faire 112 litres.
La densité se calcule comme ceci à partir des degrés Baumé: d = 145 ÷ (145 – °B)
La densité initiale de la bière de saison, se trouvait donc entre 1.043 et 1.050.
La livre était de 489.5 grammes avant 1839, puis 500 grammes ensuite.
Le houblon employé pour la bière jeune revenait alors à 375g par tonne de bière finie, soit 3.35g par litre. 

La bière de ferme, et boissons pour les travailleurs.

J’ai lu à plusieurs reprises, sur quelques sites, que les bières de saison étaient données aux travailleurs de ferme et que par le fait même, ces bières étaient à faible taux d’alcool.
En me penchant dans des vieux livres sur la brasserie et d’autres sur l’économie rurale, je me suis vite aperçu que la notion de bière Saison est largement falsifiée.
La bière de saison était apparement préparée avec beaucoup de soin pour qu’elle puisse passer l’hiver et, assez forte et houblonnée pour ne pas se gâter.
On retrouve essentiellement de la bière blanche de Liège, faite à partir d’épeautre et de la grisette qui sont dites de saison, à la fin du 19ième siècle.
Elles étaient conservées dans des tonneaux. Et encore une fois, il ne faut pas se tromper, le bois n’était pas forcément nu et était souvent enduit de poix. Il y avait un soin tout particulier au traitement du tonneau pour éviter toute contamination de la bière mais aussi de transmettre le goût du bois à la bière.
Parlons de la grisette. On lit ici et là que c’était la bière donnée aux mineurs de fond. J’ai beaucoup de mal à croire qu’elle ait été brassée pour eux. Pelset a fait un traité complet sur sa préparation et la compare à la bière de Bavière, qui était très considérée. Peut-être que les mineurs se la sont appropriée, après leur dur labeur.

Revenons à nos vaillants travailleurs des champs et à ce qu’il consommaient.

Dans un cours d’économie rurale allemand de M. Goeritz et traduit en français en 1850, on retrouve au détour d’un texte sur la classification de la bière:
“[…]En bière forte ou bière double, pour laquelle on prend plus de 54 litres de malt par hectolitre et du houblon en proportion. On range dans cette classe les bières doubles de la Saxe, de Thuringen, de Prusse, de Bavière, pour lesquelles on emploie de 75 à 1 05 litres de malt et 640 à 800 grammes. de houblon par hectolitre; les porters anglais, brassés avec 60 jusqu’à 88 litres de malt ; l’ale anglais, la plus forte de toutes les bières connues, brassé avec 88 jusqu’à 130 litres de malt et 640 à 1,100 grammes. de houblon par hectolitre.
Indépendamment de ces bières, on obtient encore de la petite bière ou bière légère , dite de deuxième trempe, en versant de l’eau sur le malt qui a servi à fabriquer la bière forte, et qui fournit une boisson pour les ouvriers pendant la moisson.”

Tout comme dans les pays viticoles où les travailleurs buvaient de la piquette, on voit bien que les travailleurs de ferme ne buvaient pas de la bonne bière forte de première qualité comme certains veulent le faire croire. Ce serait d’ailleurs incompréhensible d’enivrer des travailleurs et surtout de leur donner des produits chers pour leur éviter de boire de l’eau.

Et en parlant de piquette, j’ai trouvé ces recettes économiques pour nos chers travailleurs.

“La boisson la plus économique, la plus saine et la moins dispendieuse, est la suivante, que tout cultivateur jaloux de conserver la santé de ses ouvriers doit préparer aux époques de la fauchaison et de la moisson, époques auxquelles il ne doit point permettre que ses travailleurs boivent de l’eau pure. Nous donnons plusieurs formules afin que l’on puisse choisir.
 Crème de tartre, 100 gram. (3 onces 1/2)
Racine de réglisse 250 gram. (8 onces)
Eau bouillante, 20 litres ,
Eau-de-vie à 19 degrés, 1 litre.
On fait bouillir le sel et la réglisse jusqu’à ce que la crème de tartre soit dissoute ; on retire du feu ; on laisse déposer ou l’on passe dans un tamis serré; après refroidissement on verse le tout dans un baril en ajoutant l’eau-de-vie. Cette boisson se consomme de suite.
 Crème de tartre , 100 gram.
Sucre brut, 750 gram.(1 liv. 1/2)
Ou sirop à 35˚, 1000 gram. (2 .)
Eau bouillante; ce qu’il faut pour dissoudre le tout. Ajoutez ce qui manque d’eau  obtenir 20 litres.
Alcool 3/6, 1 litre, ou eau-de-vie à 18˚, 2 litres.
Mettez en bouteilles bien bouchées. On peut ajouter quelques aromates, tels que fleurs de sureau, de mélilot,graine de coriandre, etc.
Dans le Midi on se servira des écorces de citrons, oranges, etc.
On peut remplacer la crème de tartre par le tiers en poids d’acide tartrique ou citrique.
 Sucre brut, 1 kilog. 250 gram. (2 1/2 liv.)
Sirop à 35˚, 1 kilog. 750 (3 1/2 liv.)
Vinaigre fort, 1/2 lit.
Fleur de sureau ou autre, 8 gram.
Faites fondre le sucre, ajoutez le sureau et le vinaigre, faites 20 litres de liqueur à laquelle on peut ajouter un litre d’eau-de-vie; mettez en bouteilles ou en cruchons bien bouchés, qui restent couchés 4 ou 5 jours au plus dans cet état; on les relève ensuite, on boit cet hydromel après 8 ou 10 jours, suivant la température.
II est inutile d’indiquer comment on peut varier la composition de cette boisson du laboureur; quelques essais en apprendront assez aux ménagères. Dans les campagnes, on profitera de la chaleur du four, après la cuisson du pain, pour faire sécher les cerises, abricots, prunes, pommes, poires, qui ne peuvent être vendus ou consommés. Ces fruits secs bouillis dans l’eau entreront dans la composition des piquettes. Si on ne peut les faire sécher, on en formera des marmelades par une cuisson suffisante et addition d’un peu de miel ou sirop quelconque; ces marmelades délayées donneront une boisson agréable.”

Arts agricoles: Fabrication de la bière – Section 4: De quelques bières préparées en pays étrangers

1˚ Ale fabriquée en Angleterre. Pour la fabrication de cette bière on ne saurait apporter trop d’attention à tous les principes d’une fabrication bien entendue, que nous avons exposés pendant le cours de cet article. Ici l’on n’est pas assujetti à des recettes routinières et vicieuses, commandées en d’autres cas par l’habitude d’un goût particulier que les consommateurs exigent dans quelques-unes de
ces sortes de boissons. On doit donc employer le plus beau malt, qui n’ait pas été altéré sur la touraille par la torréfaction, le houblon le plus récent et le mieux conservé, etc.
Au reste, voici les proportions usitées pour la fabrication de cette bière: beau malt pâle d’Hereford 14 quarters (40 hectolitres); houblon du comté de Kent, 1ere qualité, 112 livres (50
kilogrammes); levure fraîche lavée , 37 livres kilog (18 litres); sel.
On a observé que le temps le plus favorable à la fabrication de cette bière, et l’on peut le choisir, puisqu’elle se garde assez longtemps pour cela, est dans les mois de mars et d’avril, d’octobre et de novembre.
Cinq jours après la mise en fermentation on enlève l’écume et l’on ajoute Ie sel marin; on écume de nouveau 12 heures après; on répète ensuite cette opération de 12 en 12 heures, matin et soir, jusqu’à ce que la fermentation soit terminée. Le brassin, soutiré au clair, produit 34 barils, équivalant à 45 hectolitres.

2° Porter anglais. Cette espèce de bière, dont on fait une forte consommation dans la Grande-Bretagne et qui s’exporte aussi en grande quantité, se fabrique particulièrement à Londres. Là, pour un
brassin de porter tel qu’on le boit ordinairement, on emploie les proportions suivantes:
7 quarters malt pale de Kingston.
6 quart. malt ambré.
8 quart. malt brun.
En tout 16 quarters ou 45 hect.
Houblon brun du comté de Kent, 183 liv. (60 kilogr.);
Levure fraîche épaisse, 80 livr. (37 kilog.);
sel marin, 2 kilog.

3° Porter de garde et propre à l’expédition.
4 quarters malt pâle d’Hereford.
3 quart. ambré jaune de Kingston.
8 quart. malt brun foncé de Kingston.
Total 10 quarters ou 28 hect.
Houblon brun commun de l’est de Kent, 100 liv. (45 kilog. 5 hectog.)
Levure fraîche et épaisse, 52 liv. (20 kilog.)
sel marin, 2 liv. (800 grammes).

4° Bière de table anglaise. On prend 12 quarters (33 hect. 84 lit.) de beau malt påle de Suffolk; 72 liv. (32 kilog. G00 gram.) de bon houblon jaune de l’est du comté de Kent; 52 liv. de bonne levure fraîche et épaisse.

5˚ Dans l’Alsace on fait une grande consommation d’une bière préparée dans les proportions suivantes et susceptible de se conserver fort agréable pendant 3 mois. 150 kilog. de bon malt récent, traité immédiatement après avoir été moulu; 3 kilog. de houblon en hiver, et jusqu’à 6 en été, qui produisent environ 5 hectolitres de bière clarifiée.

 Bières résineuses. Parmi les différentes espèces de bières qu’on prépare dans plusieurs pays, on distingue encore celles qu’on nomme ainsi. On emploie dans ces pays diverses variétés de sapin pour leur préparation. Le procédé de fabrication consiste tout simplement à remplacer le houblon par 3 à 4 fois plus de ces copeaux minces, dont on obtient également dans le moût d’orge une décoction qui présente une saveur aromatique spéciale.
Les Anglais font usage, pour leur marine, d’un extrait de sapin connu sous le nom de essence of spruce, qu’ils ajoutent à différents moûts. On a aussi employé la térébenthine et le goudron de sapin à cet usage. Toutes ces substances ont, comme le houblon, la propriété de conserver les moûts fermentés, propriété qui paraît résider dans l’huile essentielle. Celle-ci présente partout des caractères fort analogues. Quant aux propriétés anti-scorbutiques attribuées exclusivement aux bières dites résineuses, il est très probable que la plupart des observations faites à ce sujet auraient été les mêmes avec les bières de houblon, puisqu’elles contiennent aussi une huile essentielle persistante. Il sera bon de consulter, pour la théorie complète et les modifications économiques de cette fabrication, le chapitre relatif à l’extraction de la fécule et à ses transformations en substance sucrée, soit par l’acide sulfurique, soit par la diastase.
PAYEN

Arts agricoles: Fabrication de la bière – Section 3: Théorie de la fabrication de la bière

Voici en résumé la théorie actuelle de la fabrication et de la composition de la bière. La germination développe dans le grain la diastase; celle-ci réagit sur l’amidon, sépare les corps étrangers et produit en dissolvant l’amidon, de la dextrine et du sucre qui passerait dans la tige si on laissait continuer la végétation. Une grande partie de l’amidon (probablement
66 à 70 centièmes) n‘a pas éprouvé cette conversion en dextrine sucrée, mais se trouve en présence d’une quantité de diastase bien plus que suffisante pour opérer cet effet. Si donc on réunit les circonstances favorables, c’est-a-dire qu’on délaie le malt dans 4 parties d’eau et qu’on soutienne à la température de 65 à 70° pendant une heure, la conversion est complète, et l’iode n’accuse plus la présence de la matière amylacée.
L’excès de diastase peut être tel dans le grain germé que 15 fois le poids de celui-ci en fécule y ajoutée subisse, plus lentement à la vérité, les mêmes réactions. Le liquide sucré, séparé des substances insolubles, renferme du sucre et une matière gommeuse (la dextrine); il est modifié dans sa saveur par la décoction du houblon; il en reçoit notamment un principe amer, et l’huile essentielle où réside l’arôme qui caractérise surtout l’odeur de la bière.
Cette solution sucrée aromatique, en contact avec la levure aux températures indiquées, éprouve une fermentation dont l’effet général est de convertir la plus grande partie du sucre en alcool et en acide carbonique; substances qui modifient encore le goût de la liqueur. Une quantité plus considérable de levure se forme aux dépens de la matière azotée du grain dissoute; une partie s’élimine en écume ou dépôt. 
L’ichtyocolle très divisée, puis délayée dans la bière trouble, y forme un vaste réseau membraneux qui, contracté par l’action de la levure, se resserre et entraîne dans sa précipitation ce dernier corps avec les autres matières non dissoutes; le liquide surnageant devient donc limpide.
Ce qui reste de sucre non décomposé suffit ordinairement pour donner lieu dans le liquide à la production ultérieure de 5 à 6 fois son volume d’acide carbonique; celui-ci, ordinairement contenu en grande partie par la fermeture hermétique des bouteilles, y produit une pression de 4 ou 5 atmosphères, qui occasionne une sorte d’explosion lorsqu’on débouche ces vases.
Enfin, la substance gommeuse qui réside aussi dans cette boisson lui donne une légère viscosité et rend ainsi la mousse quelques instants persistante; elle suffit encore pour humecter la langue et le palais d’une façon spéciale, ce que les connaisseurs expriment en disant que la bière n’est pas sèche, qu’elle a de la bouche; propriétés qu’ils ne retrouvent plus dans la bière faite exclusivement avec du sucre ou du sirop de fécule à l’acide sulfurique.

Arts agricoles: Fabrication de la bière – Section 2: Le Brassage

Cette opération peut être divisée en 6 périodes principales qui comprennent: 1˚ La mouture du malt; 2° le démêlage et le brassage proprement dit; 3° la décoction du houblon; 4° le refroidissement; 5 ° la fermentation; 6° la clarification ou collage.

De la mouture du malt.

Le broyage du malt ayant pour but de le concasser seulement, les meules du moulin doivent être plus écartées que pour la réduction des grains en farine; il faut donc soulever un peu l’anille.
On doit laisser préalablement au malt récemment préparé le temps d’absorber un peu d’humidité de l’air, environ 4 centièmes de son poids. Le grain que l’on porterait trop sec au moulin produirait beaucoup de folle farine, dont il se perdrait une plus forte proportion, et qui d’ailleurs s’opposerait à l’infiltration de l’eau dans la 1re trempe.
Lorsque le grain n’a pas absorbé spontanément cette quantité d’eau, on y supplée ainsi : on l’étend en une couche de 6 po. d’épaisseur environ, sur laquelle on verse, à l’aide d’un arrosoir à large tête et à trous multipliés, une pluie fine; on le retourne de façon à mélanger le mieux possible les parties humectées et celles qui n’ont pas été atteintes par l’eau; on le relève en tas, et au bout de 3 heures il est prêt à passer au moulin.
La mouture fine est préférable lorsqu’on se propose d’appliquer le malt à la saccharification de la fécule ou de la farine de grains crus, ainsi que nous le verrons en traitant de la fécule et de la diastase.

Du démêlage et du brassage

De cette dernière opération paraissent être dérivés les mots brasseur, brasserie, braser, brassin, etc., et elle fut ainsi nommée parce qu’elle se faisait à force de bras, comme cela se pratique encore en France, en Belgique, en Allemagne, en Russie, et dans quelques autres contrées.

En Angleterre, où la fabrication de la bière est plus importante que dans tout autre pays à superficie égale, la force motrice, appliquée dans toutes les opérations d’une brasserie, est produite par une machine à vapeur. Pour le démêlage (mashing) cette machine communique un mouvement de rotation à un axe vertical A (fig. 259), implanté au milieu d’une cuve couverte; cet axe est armé de 4 bras B, qui eux-mêmes sont garnis chacun de 10 à 12 crochets en fer. Tout le malt est ainsi mis en mouvement dans une quantité suffisante d’eau pour former une bouillie claire.

Cuve matière anglaise

Chez nous on nomme cuve-matière le vase dans lequel on opère le démêlage; c’est une cuve (fig. 259) légèrement conique, posée sur la grande base et d’environ 1 mètre 70 centimètres de profondeur. À 11 ou 12 centimètres du fond est un faux fond en bois G, percé de trous, soutenu à cette hauteur par un cercle en plusieurs parties larges (semblables à celles des jantes de roues), et qui permettent de laisser un pouce de jeu entre les douves et le faux fond pour les dilatations et retraits de ce bois, afin que son gonflement ne puisse opérer l’écartement des douves. Trois ou quatre tasseaux chevillés au-dessus du faux fond l’empêchent de remonter et de se déplacer. Pour éviter que les trous du faux fond ne s’engorgent facilement, on les fait coniques, le grand diamètre tourné vers le bas. Un couvercle en bois D, formé de planches doubles croisées et solidement barrées, peut à volonté être posé sur la cuve et doit la fermer le mieux possible.
On jette d’abord le malt moulu dans la cuve-matière ; on introduit ensuite de l’eau chaude à 60˚C environ sous le faux fond par le tube E; l ‘eau soulève le malt, que l’on s’occupe vivement à plonger dans l’eau à l’aide de fourquets en fer (fig. 260). On laisse le malt se pénétrer d’eau pendant une demi-heure; alors on découvre la cuve, on introduit également sous le faux fond de l’eau à 90°C, et l’on procède au vaguage, en brassant fortement le mélange ou fardeau avec des vagues (fig. 261) portant 3 ou 4 traverses doubles en bois, afin qu’ils puissent enfoncer et soulever le grain.

 

 

 

Le mélange doit alors être échauffé à 70°. C’est entre ces limites (comme on l’expliquera dans l’article fécule et diastase) que la saccarification de l’amidon du grain peut se compléter et rendre ainsi la farine presque entièrement soluble.
Immédiatement après le vaguage on lave le chant des parois intérieures de la cuve en y projetant quelques écuellées d’eau froide; on saupoudre à la superficie du mélange une couche de fine farine de malt, afin de bien concentrer la chaleur, on referme ensuite la cuve, et l’on enveloppe les joints du couvercle avec des morceaux de drap ou de laine.
On laisse le tout ainsi pendant 3 heures; on ouvre ensuite un robinet F placé entre les 2 fonds; on sépare les 1ères portions troubles que l’on reverse sur le malt; tout ce qui s’écoule ensuite du liquide sucré, dit premiers métiers, se rend dans un réservoir placé sous le robinet, et d’une contenance d’environ 1000 litres, nommé reverdoir: il est porté au fur et à mesure, è l’aide d’une pompe, dans une cuve couverte, dite bac à mout.
On introduit dans la cuve-matière une nouvelle quantité d’eau égale de celle de la 1re trempe, à la température de 80°C environ; on brasse encore fortement. L’allégement du malt et son adhérence aux parois sont des indices d’une bonne macération; on laisse en repos, et l’on soutire au bout de 2 heures de la manière que nous l’avons dit. On porte, à l’aide de la même pompe, ces seconds métiers avec les 1er, et, dès que l’eau pour la dernière trempe est tirée de la chaudière, on y fait couler tout le moût des 2 premiers métiers réunis.
On délaye une troisième fois le mélange en ajoutant de l’eau presque bouillante; on laisse déposer pendant une heure, on soutire, et l’on porte la dissolution claire dans la chaudière à petite bière. Si le malt n’était pas suffisamment épuisé de ses substances solubles, on le lessiverait en l’arrosant avec quelques lotions d’eau bouillante, et laissant le liquide s écouler au fur et à mesure de la filtration par le robinet.
Il ne reste plus dans la cuve-matière que la pellicule ligneuse qui enveloppait le grain, les débris des gemmules, une partie de l’albumine coagulée, et quelques sels insolubles et des matières légères; tout le reste est dissous.

On peut, d’après les nouvelles données décrites à l’article fécule, réduire la quantité de malt, le remplacer par la fécule de pommes de terre ou tout autre farine féculente, et rendre le brassage plus facile, plus simple, et souvent bien plus économique. Voici comment on peut opérer.
Une chaudière (fig. 262), fermée d’un couvercle, laissant près de ses bords 2 ou 3 trous d’hommes A, A, A, et plongée dans une cuve B, laisse entre ses parois et celles de la cuve un intervalle d’environ 3 pouces formant le bain-marie; un tube C de 1 po. de diamètre, se bifurquant entre les 2 fonds, y amène à volonté la vapeur d’un générateur. Un indicateur indique le niveau dans le bain-marie.
Supposons que l’on traite 1,000 kilogrammes de fécule; la double enveloppe B (le bain-marie) étant remplie d’eau à moitié de sa hauteur, et la chaudière A ayant reçu 45 hectol. d’eau et 200 kilog. de bon malt en poudre grossière, on ouvre le robinet F du tuyau C, qui amène la vapeur, et un homme agite avec un rable F (Fig. 263) le liquide de la chaudière.

Un thermomètre centigrade, plongé dans ce liquide, indique la température; dès qu’elle est arrivée à 60˚ au plus, on verse par un des trous A successivement toute la fécule, que l’on main tient en suspension à l’aide de l’agitateur. Lorsque la température, d’abord un peu abaissée, s’est relevée graduellement de 65 à 70°, on l’entretient à ce terme jusqu’à ce que la liquidité soit complète; alors on pousse à 75, puis on fait couler tout le mélange, par une large bonde O, dans une des 2 cuves-matières G,G; celles-ci étant bien couvertes, la température s’y maintient aisément entre 75 et 65 pendant 5 heures. Au bout de ce temps on soutire au clair dans la cuve reverdoire H tout le liquide qui peut filtrer; on le porte de là dans la chaudière. Le marc lavé donne des solutions de plus en plus faibles jusqu’à épuisement. Ces petites eaux servent à détendre à 6˚ le 1er moût qui marque 10 à 11°, ou sont employées directement à 3° pour la fabrication de la petite bière.
Une des améliorations que j’ai introduites en 1816 dans la fabrication de la bière résulte de l’emploi des sirops de miel, de mélasse ou de fécule, clarifiés au charbon animal.
L’usage des sirops clarifiés dans la proportion de 1/4 a 1/5 de la substance amilacée (malt et fécule) est surtout convenable pendant les chaleurs de l’été pour les bières. Il augmente la proportion d’alcool, favorise les dépôts, et l’on parvient ainsi à éviter les résultats fâcheux des fermentations trop actives qui font tourner à l’aigre ou donnent une odeur putride. Cette méthode est encore bonne à suivre toutes les fois que les grains, de mauvaise qualité, imparfaitement maltés ou macérés sans les soins convenables, ont donné des moûts trop faibles; dans ce dernier cas il suffit d’ajouter la quantité de sirop utile pour donner à la solution le degré aréométrique (6 Baumé pour la bière double de Paris et 2 1/2 à 3° pour la petite bière) qu’on aurait obtenu avec de bons grains traités convenablement.

De la cuisson de la bière

Reprenons la fabrication de la bière au moment ou les trempes sont versées dans les chaudières sur le houblon (1), dans la proportion de 37 livres et 1/2 de ce dernier pour 27 septiers de malt, ce qui équivaut à environ 450 grammes par hectolitre, pour la bière ordinaire de Paris, et en obtenant un 2produit en petite bière, qu’on fait couler sur le même houblon; on ajoute encore 14 livres de houblon inférieur en qualité dans le moût destiné à la fabrication de cette bière.
On a soin de faire plonger le houblon avec des rables pendant l’écoulement du moût, et durant même son ébullition, jusqu’à ce qu’il soit bien humecté.
Dès que le moût est versé, on élève à température , et on la soutient près de l’ébullition jusqu’à ce qu’on ait obtenu le moût de la 2e trempe; on ajoute celui-ci au 1er, et l’on porte à l’ébullition en laissant le moins possible la vapeur se dégager, afin d’éviter une trop forte déperdition de l’huile essentielle à laquelle le houblon doit son arôme et sa saveur spéciale.
On pourrait remplacer avec de grands avantages le chauffage direct par celui dit à la vapeur, ou mieux encore par le procédé de circulation appliqué aux lessivages à chaud, qu’on doit à M. BONNEMAIN (tome IV, p. 81).
Il ne faut pas en effet chercher à obtenir des moûts plus forts par leur rapprochement dans la chaudière; car cette coction prolongée décompose une partie de la substance sucrée de l’orge, fait contracter à la décoction un mauvais goût par l’altération de la matière azotée et laisse dissiper dans l’air le principe aromatique du houblon. On voit bien d’ailleurs que toute évaporation peut être rendue inutile, puisqu’on peut toujours proportionner la quantité d’eau à la force de la bière, et obtenir les moûts directement au degré convenable.
La décoction qui doit produire la bière double est opérée, ainsi que nous l’avons dit, après que la température ait été soutenue au degré de l’ébullition pendant 3 heures environ; alors on ouvre un large robinet (de 8 cent.) adapté au fond de la chaudière; le mélange de moût et de houblon est conduit à l’aide de tuyaux en cuivre dans le bac à repos. C’est une caisse de 18 pouces environ de profondeur, servant à laisser déposer les corps légers, et séparée en 2 capacités par un clayonnage en bois qui retient les folioles de houblon; à l’extrémité où le liquide arrive seul se trouve un robinet a décanter.

Ce robinet à décanter, dont on voit la coupe dans la fig. 264, est formé d’un double tube vertical en laiton; le tube intérieur forme la clé, et tourne à laide d’un bout de levier emmanché au haut de sa tête ; des ouvertures d’un pouce de hauteur, disposées en hélice autour de cette sorte de colonne, permettent de faire écouler la nappe supérieure du liquide, éclaircie par le 1er temps de repos. L’ingénieuse disposition ci-dessus est due à M. NICHOLS. Une autre sorte de robinet à décanter consiste dans un bourrelet circulaire, ou flotteur en fer-blanc, sous lequel un cercle en canevas métallique adhérent est attaché à un entonnoir de toile formant soufflet, et terminé par un large tube qui sort sous le bac à repos, où le robinet est adapté. Dès qu’on ouvre celui-ci, le liquide, près de sa superficie, s’introduit par la bande de canevas métallique dans l’entonnoir, qui s’abaisse progressivement avec le flotteur suivant le niveau du moût.
On opère la décantation par l’un des 2 moyens ci-dessus, après une à 2 heures de repos. Le moût est alors à la température de 75 à 70°; il doit être refroidi davantage, et, à cet effet, on le fait écouler dans les bacs refroidissoirs.
Ces larges caisses plates sont construites en planches de sapin du Nord, très épaisses et solidement boulonnées. Avant de se servir de bacs neufs, il faut étançonner avec des pièces de bois leur fond, pour éviter que l’imbibition de l’eau ne les fasse soulever. On doit y passer de l’eau bouillante à plusieurs reprises, afin d’enlever à la surface les principes solubles du bois, qui donneraient un goût particulier à la bière, et de faire produire au bois tout l’effet de gonflement qui peut résulter de l’action de l’humidité et de la chaleur.
Dans l’usage habituel des bacs, il faut avoir le plus grand soin de les laver et de les échauder, de peur que le moût de bière adhérant à leurs parois ne s’y aigrisse ou ne prenne un goût putride qui pourrait occasionner la détérioration d’un brassin versé ultérieurement.

Du refroidissement de la bière

La température du moût doit être abaissée au degré convenable pour la fermentation, et ce degré varie suivant les influences de la température de l’air atmosphérique et en sens inverse. Le moût de bière doit en effet être d’autant plus froid que l’air extérieur est plus chaud, et réciproquement. On conçoit qu’on se propose ainsi de compenser les chances de refroidissement ultérieur dans les cuves fermentation. En général, pendant les temps froids, il faut activer le plus possible la fermentation alcoolique; pendant les chaleurs de l’été on doit au contraire s’efforcer de modérer ses progrès, pour éviter que la bière ne tourne à l’aigre. On peut d’ailleurs diminuer les chances de cette altération en augmentant la dose du houblon; c’est aussi dans ce but qu’il importe d’opérer le refroidissement le plus promptement possible. Les bacs doivent donc être exposés fort à un courant d’air; on l’obtient à l’aide des persiennes qui les entourent ordinairement.
Nouveau système de rafraîchissoirs. De quelque manière que soient disposés les bacs, ils présentent de graves inconvénients, et les soins les plus minutieux ne peuvent quelquefois prévenir l’altération du mout houblonne qui y séjourne trop longtemps dans les chaleurs. Leur construction est d’ailleurs fort dispendieuse, soit par elle-même, soit par la solidité qu’elle nécessite dans toutes les parties de l’étage qui supporte le poids de ces vastes réservoirs et du liquide qu’ils contiennent; enfin toute la chaleur du moût, depuis le degré de 75 à 70° centigrades jusqu’à la température de 15 à 25, utile à la fermentation, est complètement perdue.

Le nouveau réfrigérant de M. NICHOLS, qui agit sur le liquide en couches minces par évaporation et contact indirect, à l’aide d’aspersions et de courants d’eau méthodiquement dirigés, est vu monté de toutes ses pièces dans la fig. 265. La fig. 266 montre la coupe longitudinale de l’extrémité de l’appareil du côté de l’entrée de l’eau servait à rafraîchir ; les fig. 267 et 268 la même coupe longitudinale du milieu de l’appareil au point d’assemblage des diverses parties, et la fig. 269 une dernière coupe longitudinale de l’extrémité du coté de l’entrée de la bière. Les mêmes lettres désignent dans ces figures les mêmes objets. Ce réfrigérant se compose de 3 cylindres concentriques en cuivre étamé, de 40 pieds de long sur un diamètre qui varie de 6 po. à 2 pieds, suivant l’importance de l’établissement. A est un 1 cylindre qui est vide et sert seulement à diminuer par l’espace qu’il occupe l’emploi d’un trop grand volume d’eau. Le second cylindre B, qui enveloppe le précédent, porte des cannelures longitudinales peu profondes; C’est entre ces 2 cylindres que passe l’eau destinée à rafraîchir. Le tube extérieur C entoure le cylindre cannelé B, et c’est l’espace compris entre ces 2 cylindres qui donne passage à une mince couche de bière qui se trouve divisée par les cannelures, et par conséquent, plus apte à recevoir l’effet du liquide réfrigérant. Ce cylindre C est recouvert d’une chemise de toile continuellement mouillée par l’eau, passant par un tube E, perforé de trous comme une pomme d’arrosoir. Afin de forcer l’eau et la bière à échanger leur température, ces 2 liquides marchent dans une direction opposée. L’eau froide entre par le tuyau M, placé à l’extrémité intérieure, et ressort par le tube vertical O, qui la conduit dans les chaudières ou un réservoir, en profitant ainsi de la température de 35 qu’elle a acquise par son contact avec la bière, pour s’en servir à des lavages à l’eau chaude ou à de nouvelles trempes, etc. La bière au contraire entre dans le cylindre C par le tube N, et se rend par l’autre bout en S dans la cuve guilloire, refroidie à 15°, température convenable pour une fermentation calme et régulière. De plus, pour que la direction des liquides ne fût pas constamment uniforme, les cannelures du cylindre B sont disposées de manière à se trouver opposées l’une à l’autre de 2 en 2 pieds, en laissant entre elles de petits intervalles non cannelés où le moût s’accumule et mélange ses couches pour se distribuer ensuite dans de nouvelles cannelures. FF sont des robinets pour vider l’eau ; des tubes qu’on voit près de ces robinets (fig. 266 et 268) servent à établir la communication entre l’air extérieur et le cylindre A, et en retirer l’eau en cas de fuite. Des auges H et K servent à supporter le refrigerant, et a recevoir les eaux d’arrosage du tube E, qu’on évacue par le tube L. P (fig. 265) est le conduit qui alimente d’eau ce tube E; (fig. 268 et 269) des tuyaux d’évacuation de l’air de l’eau ; R un tuyau semblable pour évacuer l’air de la bière ; une grille en toile métallique placée en avant (fig. 269) dans le tube extérieur est destinée à empêcher que le passage de la bière se trouve obstrué. Le réfrigérant tout monté est raccordé au moyen de vis et de collets d’assemblage ; il peut être démonté et nettoyé en une seule journée par 2 ouvriers de la brasserie. Il coûte moins que les bacs, dure plus long-temps, exige moins de réparations, et économise le local. Suivant M. NICHOLS, 1 hectol. et 1/2 d’eau à 10° suffit pour refroidir un hectol. de moût à 15. Quant à l’eau appliquée extérieurement, sa quantité est environ le quart de celle employée à ce refroidissement.
Ces réfrigérants étant placés dans une position inclinée, on fait communiquer la partie haute en N avec le bac à repos ; la bière passe entre les cylindres et transmet promptement, au travers du métal même, sa chaleur à l’eau qui l’enveloppe de toutes parts. En descendant entre les enveloppes le moût perd de plus en plus de sa chaleur, et, arrivé à la partie inférieure du réfrigérant, le liquide est a la température convenable, et coule immédiatement dans la cuve guilloire.
La température du moût au moment d’être mis en levain diffère aussi dans les différentes sortes de bières. Pour les bières fortes et de garde, on veut que la fermentation s’opère lentement ; la température pendant la fermentation doit être plus basse; si l’on se propose de préparer une bière potable au bout de quelques jours, comme la bière de Paris, il faut activer la fermentation, et, à cet effet, que la température des moûts de diverses bières varie pendant les différentes saisons au thermomètre Réaumur. Le tableau suivant indique ces relations.

De la fermentation de la bière

Lorsque le moût de bière est dans la cuve guilloire, on y ajoute la levure (et le caramel, si la décoction n’est pas assez colorée) et l’on agite fortement. Quelque temps après on aperçoit une écume blanchâtre et légère s’élever à la superficie du liquide; on entend pétiller le gaz acide carbonique. La mousse augmente de volume et s’élève quelquefois d’un pied au-dessus du liquide; bientôt elle devient plus épaisse, jaunâtre, semblable à la levure: c’est en effet cette substance elle même qui, sécrétée dans le milieu du liquide en fermentation, est entraînée à la surface par les bulles d’acide carbonique; elle amène diverses matières insolubles qui étaient tenues en suspension dans le moût de bière.
On avait autrefois l’habitude de faire replonger dans le liquide l’écume de levure, et l’on soulevait le dépôt avec un râble ou mouveron, une ou deux fois chaque jour pour activer la fermentation; on appelait cela battre la guilloire mais comme cette opération refroidit le moût, rend la bière trouble et difficile à clarifier, il est préférable de l’éviter en mettant d’abord une plus grande quantité de levure.
Dans la préparation des fortes bières, et surtout pendant les chaleurs, on ajoute une certaine quantité de sel marin au moût en fermentation, afin de prévenir l’altération de la matière animale qui développerait un goût désagréable et ferait aigrir la bière.
On applique avec succès, depuis quelques années, un couvercle garni de nattes en paille sur la cuve gulloire; on enlève à volonté une partie mobile de ce couvercle en bois, avec une corde passant sur une poulie et tirée à l’aide d’un moulinet. Les avantages de cette disposition sont; 1° d’éviter l’altération spontanée, acide ou putride, qui, dans les cuves ouvertes, résulte surtout de l’accès libre de l’air à la superficie de l’écume et laisse un mauvais goût à la bière; 2° de rendre la fermentation plus régulière en maintenant la température plus égale.
Les moûts des différentes espèces de bières exigent des quantités différentes de levure pour leur fermentation suivant la température de l’atmosphère. On emploie communément les proportions suivantes (en poids) de levure pour exciter la fermentation dans la cuve guilloire.

Lorsque la fermentation de la bière est suffisamment avancée dans la cuve guilloire, on la soutire. Cette opération pour les bières légères, n’exige aucun soin; quelquefois on trouble tout le liquide à dessein, afin de ménager une plus forte fermentation pendant le guillage. Quant aux bières fortes, qui présentent des difficultés pour être bien limpides, on les tire au clair avec précaution; on sépare les premières portions et les dernières, qui ordinairement sont troubles, pour les faire déposer et repasser dans une fermentation suivante. Les bières de garde doivent être soutirées dans de grands tonneaux de 4 à 5 hectolitres. On laisse la bonde couverte d’un linge, afin que, pendant le temps que la fermentation dure, le gaz acide carbonique produit puisse se dégager sans pression (4). On remplit de temps à autre le vide occasionné dans les barils par ce dégagement, avec de la bonne bière forte, etc.
Cette opération se pratique dans nos brasseries pour les bières légères que nous nommons bière double et petite bière, de la manière suivante. On soutire tout le liquide fermenté de la cuve guiloire dans des quarts d’une capacité égale à 75 litres; leur bonde est très large (de 7 à 9 centim.), afin qu’elle livre à l’écume qui continue à se former un passage facile. Tous ces petits barils sont rangés côte à côte sur les traverses d’un bâti en bois, à une hauteur telle qu’on puisse aisément passer dessous un baquet de 35 à 40 centimètres de haut. Les bondes de 2 quarts sont inclinées d’un même côté, afin que leur écume, poussée par la fermentation du dedans au-dehors, puisse, en s’écoulant le long de leurs douves, tomber dans le même baquet. Au moyen de cette disposition, 50 baquets suffisent pour 100 quarts.
Aussitôt que la bière est entonnée, une écume volumineuse sort de toutes les bondes; elle coule dans les baquets, où elle se liquéfie promptement. Quelques minutes après, l’écume devient plus épaisse, elle surnage en partie la bière dans les baquets, et se précipite en partie au fond; en inclinant ceux-ci, on en sépare facilement le liquide intermédiaire, avec lequel on remplit les quarts.
La matière épaisse, et d’une apparence semblable à celle de la bouillie, est la levure proprement dite; il s’en produit 5 ou 6 plus qu’il n’en faut, pour ajouter dans le brassin suivant aussi les brasseurs, après en avoir mis une partie en réserve pour la fermentation de leur moût, vendent-ils le reste aux levuriers, après l’avoir lavée et pressée dans des sacs en forte toile.
La fermentation continue à jeter pendant un temps plus ou moins long, suivant l’espèce de bière ou la température extérieure, etc. Pendant cet intervalle on remplit les quarts à plusieurs reprises, afin que le niveau du liquide soit assez près du bord de la bonde pour permettre à la levure de s’écouler au-dehors au fur et à mesure qu’elle vient nager à la surface.
Lorsque la production de la levure diminue d’une manière sensible, c’est un signe auquel on reconnaît que la fermentation approche d’être assez avancée. Enfin, lorsqu’il ne s’en produit presque plus, on redresse tous les quarts, en sorte que la bonde se trouve au point le plus élevée, ce qui permet d’emplir complètement toute leur capacité; on se sert encore pour cela de bière claire précédemment faite. Les quarts restent dans cette situation pendant 10 ou 12 heures; au bout de ce temps il s’est élevé sur la bonde une mousse très légère et volumineuse qui résulte d’un mouvement léger de fermentation; les brasseurs nomment cette mousse le bouquet.
La bière est alors livrable aux consommateurs; on bouche les quarts avec leurs bondons, et on les expédie.

Clarification ou collage de la bière

Toutes les bières destinées à être bues peu de jours après leur fabrication doivent être clarifiées. Les bières fortes, de garde, s’éclaircissent spontanément, parce qu’on peut attendre un temps assez long pour cela, sans qu’elles tournent à l’aigre; mais encore, parmi ces dernières, il s’en trouve qu’il est nécessaire de coller. Cette opération est principalement basée sur l’emploi de la colle de poisson; on la prépare de la manière suivante. D’abord on l’écrase sous le marteau afin de rompre les fibres et de favoriser ainsi l’action de l’eau sur cette substance organisée; on la met tremper dans l’eau fraîche pendant 12 à 24 heures, en renouvelant l’eau plusieurs fois (2 fois en hiver et 6 fois en été); on malaxe ensuite fortement la colle de poisson entre les doigts et dans 10 fois son poids de bière faite ; on passe au travers d’un linge la gelée transparente qui en résulte; on rince le linge dans une petite quantité de bière qu’on verse ensuite dans la première dissolution gélatineuse; on y ajoute un vingtième en volume d’eau de vie commune, ou esprit étendu à 20° et l’on conserve cette préparation en bouteilles, dans la cave, pendant 15 jours en été, ou un mois en hiver, pour s’en servir au besoin.
Lorsqu’on veut opérer la clarification, on mêle cette colle avec une fois son volume de bière ordinaire; on la bat bien, et on la verse dans les barils; on agite fortement pendant une minute la bière qu’ils contiennent à l’aide d’un bâton; celui-ci est fendu en quatre par le bout qui plonge dans le liquide. On laisse ensuite déposer pendant 2 ou 3 jours, au bout desquels on tire en bouteilles. La proportion de colle préparée est de 3 décilitres par quart, ou de 4 décilitres par hectolitre de bière de table; il en faut quelquefois le double de cette quantité pour la bière forte. La clarification que la colle de poisson opère dans la bière n’était pas expliquée avant la théorie que j’en ai donnée et qu’il est utile aux brasseurs de connaître. La bière est mise dans des bouteilles que l’on tient couchées si l’on veut que cette boisson mousse; cet effet tient à ce que le bouchon constamment en contact avec le liquide, reste gonflé et ferme plus hermétiquement; pour éviter la rupture des bouteilles, on les laisse couchées pendant 24 heures seulement, après quoi on les tient debout. On peut conserver la bière forte dans des foudres complètement remplis, et l’y laisser même sur la lie pendant l’hiver; mais dans ce cas il convient de la soutirer à la fin de mars, pour éviter qu’un nouveau mouvement de fermentation, excité par le dépôt de la levure, ne la trouble et n’y détermine le développement de l’acide acétique, qui est bientôt suivi d’un goût putride.
Si l’on veut tirer la bière au tonneau de quelques dimensions qu’il soit, on ne doit pas mettre plus de 8 jours à consommer la totalité. Lorsque la quantité est trop grande, il est nécessaire de la diviser en barils de moindres dimensions complètement remplis, et entamés successivement.
La bière bien préparée se conserve en général d’autant plus longtemps qu’elle est plus forte, c’est-à-dire que la proportion du houblon employée est plus considérable et que l’alcool produit par la fermentation est en plus grande proportion. Cependant on peut préparer une bière légère qui se comserve trs bien en employant avec le moût d’orge une quantité sufisante (2 tiers environ de la matière sucrée) de mélasse ou de sirop de pommes de terre bien dépurés (2). Ces bières bien préparées contiennent très peu de mucilage; mais aussi, leur goût diffère un peu de celui des autres; elles sont moins douces et coulent sans humecter de la meme manière la membrane muqueuse; aussi dit-on qu’elles sont sèches et n’ont pas de bouche.
Il parait que l’usage consacré en Flandre de faire dissoudre par une longue ébullition de pieds de veau dans le moût de bière rend cette boisson plus susceptible de produire une mousse persistante plus onctueuse au palais; on conçoit que ces effets doivent résulter de la solution gélatineuse produite par la peau et les tendons de ces pieds ainsi traités.

  1. On doit conserver les sacs de houblons dans une chambre bien sèche et bien close; sans cette précaution le houblon aurait bientôt perdu une partie notable de son arôme.
  2. J’ai envoyé aux colonies des bouteilles de bière préparée par ce procédé; elles y sont parvenues bien conservées

Arts agricoles: Fabrication de la bière – Section 1: Le Maltage

Maison rustique du XIXe siècle
Tome troisième
Art Agricoles
Paris, 1849

On donne le nom de bière à une boisson très anciennement connue, puisqu’on en fait remonter l’origine des temps fabuleux qui fut longtemps désignée sous le nom de cervoise et ceux qui la préparaient sous celui de cervoisiers. Ces dénominations avaient sans doute pour étymologie le nom de Cérès, déesse des moissons; et en effet, un produit obtenu des graines de céréales forme principalement comme nous le verrons, la base de la fabrication de la bière.
Nous nous attacherons surtout dans ce chapitre à donner les détails techniques nécessaires pour la fabrication de la bière, en faisant connaitre les parties distinctes de cette opération , qui, sous le rapport théorique, seront complétées, dans le chapitre que nous consacrerons à la fécule, qui comprendra les connaissances récemment acquises relativement à la nature et aux transformations de ce principe immédiat des végétaux. Nous décrirons donc successivement ici le maltage des grains, leur brassage, la décoction du houblon , la fermentation et le collage ou clarification.

Du maltage

Le maltage est l’opération la plus importante de la fabrication de la bière. Elle se divise en 3 parties :1° la germination, 2˚ la dessiccation, 3˚ la séparation des radicelles. On emploie le plus généralement l’orge ordinaire ou l’escourgeon (hordeum vulgare), l’orge à 2 rangs (hordeum distichum), l’orge à 6 rangs (hordeum hexastichum) pour cette fabrication. L’égalité la plus approximative des dimensions dans tous les grains est une des conditions importantes de la régularité si essentielle dans les opérations ultérieures qu’ils doivent subir, et d’ailleurs c’est en général la conséquence d’une bonne culture, On pourrait se servir d’autres graines de céréales, notamment de blé, de seigle ou d’avoine, de maïs ou de riz, si celles-ci n’étaient en général trop dispendieuses pour cette application. Les brasseurs doivent éviter avec soin mélange, soit de différentes variétés d’orge entre elles, soit d’une même variété récoltée sur plusieurs terrains différents, qui produiraient des irrégularités très préjudiciables dans la germination. Les bons grains sont durs, pleins, farineux et blancs à l’intérieur; mouillés pendant quelques minutes et remués, ils ne doivent pas développer d’odeur désagréable. Les plus pesants, à mesure égale, offrent une grande probabilité d’une qualité meilleure et d’un rendement plus considérable; enfin, agités et trempés dans l’eau, ils tombent presque tous au fond du liquide. Les halles aux chaudières, aux cuves , les germoirs, emplis, etc., dans une brasserie très bien montée, devraient être dallés en pierres dures, cimentées en mastic de bitume; cette disposition est surtout utile pour les germoirs. Un pavage au ciment peut suffire relativement aux autres ateliers, mais tous doivent offrir des pentes qui amènent les eaux aux récipients au niveau du sol, afin qu’on puisse opérer partout des lavages faciles, et éviter ainsi le mauvais goût des levains acides ou putrides qui résulteraient de l’accumulation de divers détritus.

De la germination

La germination des grains se divise en 5 opérations distinctes, qui consistent à mouiller, tremper et laver, étendre en couches plus ou moins épaisses, et retourner à des intervalles variables.
Le mouillage de l’orge a lieu dans de grandes cuves en bois ou des réservoirs en pierre. On les remplit d’eau d’abord jusque’à une hauteur telle que, le grain étant ensuite versé et mélangé, il soit recouvert de quelques pouces par le liquide; tous les grains lourds tombent au fond et les plus légers surnagent
On doit enlever ces derniers avec une écumoire; car non seulement ils ne germeraient pas et donneraient très peu de principes utiles dans la fabrication de la bière, mais ils produiraient un effet nuisible. On peut les employer à la nourriture des poules.
On laisse tremper l’orge dans la cuve mouilloire jusqu’à ce que tous les grains, pris au hasard, plient facilement entre les doigts et ne présentent plus une sorte de noyau dur à l’intérieur, ou s’écrasent sans craquer sous la dent; ce qui a lieu plus ou moins promptement, suivant la température de l’air, la nature de l’eau et quelques autres circonstances, mais entre 10 heures au moins et 60 au plus. Il est utile de changer 2 ou 3 fois l’eau dans laquelle on fait tremper le grain, soit pour enlever quelques matières dissoutes , soit pour empêcher une fermentation préjudiciable de s’établir.
Lorsque le grain a été suffisamment imbibé, on le lave encore par une dernière addition d’eau que l’on fait écouler aussitôt ; afin d’enlever une matière visqueuse qui se développe surtout dans les temps chauds; on le laisse égoutter et achever son gonflement pendant 6 ou 8 heures en été, 12 à 18 heures en hiver; on le fait ensuite sortir par une large bonde pratiquée au fond de la cuve mouilloire. Il tombe sur le dallage, et on s’empresse de l’étendre d’abord en un tas de 35 40 cent. d’épaisseur environ.
Pendant que le grain est en tas une partie de l’humidité s’exhale, peu à peu la température de la masse s’élève de 3 à 4 degrés, et la germination commence. Dans les temps de gelée il est utile de favoriser cette action en maintenant la chaleur dans le grain; à cet effet on le couvre de sacs vides ou de vieilles toiles.
Aussitôt qu’en enlevant la couche supérieure du tas on aperçoit à chaque grain une petite protubérance blanchâtre qui annonce les premiers progrès de la germination, on empêche une augmentation trop considérable de la température en retournant tout le tas et le répandant en couches plus minces sur le dallage du germoir.
Le germoir doit être le plus possible à l’abri des changements de température; des caves ont donc très convenables pour cette destination, ou, à défaut, des celliers clos munis de murs épais et de doubles portes.
L’épaisseur de la couche de grain, d’abord très peu moindre que celle du tas, doit être de 30 cent. environ dans les temps froids, et de 25 seulement dans l’été; mais à la fin on la réduit à une épaisseur, toujours le plus égale possible, de 10 cent. au plus. On retourne le grain ainsi étendu 2 ou 3 fois par jour, et même plus, ce gui dépend de la température extérieure. On doit se proposer surtout de répartir la chaleur dans toute la masse aussi également que possible. Pour cela, il est bon de maintenir la couche plus épaisse près des portes et dans tous les endroits sujets à quelque refroidissement; il faut, au reste, éviter que la température ne s’élève trop, et avoir le soin d’aérer le grain d’autant plus fréquemment que la germination s’avance plus vite.
La radicule commence d’abord à sortir; le germe ou plumule qui doit former la tige se gonfle, et, partant du même bout par lequel la radicule sort immédiatement, s’avance par degrés lents sous la pellicule ou épisperme qui enveloppe le grain et gagne vers le bout opposé; les radicules acquièrent beaucoup plus de longueur et se divisent en 3, 5, 6 ou 7 radicelles ou petites racines. Il est quelquefois utile d’arroser l’orge immédiatement avant de la retourner, et 2 ou 3 fois pendant le cours de l’opération, lorsqu’on voit qu’il y a trop de sécheresse.
Il convient mieux d’étendre l’orge en couches plus minces que de la faire retourner trop fréquemment, de peur d’écraser trop de grains et d’occasionner ainsi une odeur désagréable provenant de leur altération ultérieure; dans la même vue on travaille souvent pieds nus dans les germoirs.
La germination est à son point dès que, dans la plupart des grains, la plumule a parcouru toute leur longueur sous l’enveloppe.
Si on laissait le grain végéter passé le terme que nous venons d’indiquer, la tige future deviendrait visible à l’extérieur; elle s’accroitrait rapidement, l’intérieur du grain serait alors laiteux; bientôt les principes utiles épuisés laisseraient l’enveloppe presque complètement vide.
On peut germer moins, c’est-à-dire terminer l’opération avant que la plumule ou gemmule ait atteint plus des 2/3 de la longueur du grain. Cette mesure est même utile lorsqu’on doit employer exclusivement l’orge germée, car on en obtient plus de produit; mais si l’on voulait se servir de fécule il conviendrait de pousser la germination jusques à ce que la gemmule commençât à sortir.
Le temps pendant lequel l’orge doit rester étendue sur le carrelage ne peut être déterminé d’avance; mais lorsque l’opération est bien conduite, il ne doit pas être moindre que dix jours ni plus considérable que vingt.
La germination est beaucoup plus difficile dans les temps chauds, et à peu près impossible en grand pendant les gelées ; aussi doit-on faire son approvisionnement de malt depuis le mois d’octobre jusque dans les 1ers jours de mai.

Dessiccation sur la touraille

Les brasseurs donnent le nom de touraille (fig 258) à l’appareil à l’aide duquel ils font dessécher, et, dans quelques circonstances, torréfier le grain germé.
Dès que les grains sont suffisamment aérés, au sortir du germoir, on doit arrêter toute végétation et éviter en les desséchant les altérations spontanées qu’ils éprouveraient sous l’influence prolongée de l’humidité. La plate-forme AA de la touraille est à la partie supérieure du fourneau. Elle se compose de plaques en tôle percées de trous comme une écumoire; ces trous sont assez petits pour que les grains d’orge ne puissent passer au travers, et sont très rapprochés les uns des autres.

Une toile métallique serait peut-être préférable;elle exigerait moins de main d’oeuvre, puisqu’il faudrait moins retourner le malt, laisserait passer et répartir plus également le courant d’air chaud, briserait mieux les radicelles et brûlerait moins de grains.

Dessin représentant une touraille.

Cette plate-forme représente la base d’une pyramide quadrangulaire renversée dont le sommet est tronqué par le foyer C D du fourneau. La forme elliptique de la partie intérieure de ce fourneau, au-dessus de la grille, produit l’effet utile de réverbérer la chaleur et de concourir à brûler la fumée en élevant sa température, comme la masse de briques échauffées de la voute qui forme un réservoir constant de chaleur à la température de la combustion. La voûte E est surmontée d’une trémie renversée d, en briques, soutenue par des supports en fer ou des tasseaux en briques. Cette trémie est destinée à empêcher que les petites racines, et quelques particules des grains, ne tombent sur le feu et n’y produisent de la fumée. Par cette disposition, les substances qui passent au travers de la plateforme sont renvoyées vers des parties latérales, et recueillies dans des cavités inférieures ménagées à cet effet.

À Paris on emploie comme combustible, pour la touraille, une houille dite de Fresnes, qui ne produit presque pas de fumée; on pourrait aujourd’hui se servir, comme en Angleterre, du coke des fabriques de gaz-light. Dans ceux de nos départements où le bois est à meilleur marché, on emploie de préférence le hêtre, le charme et l’orme, qui produisent une flamme légère et peu de fumée. On pourrait d’ailleurs utiliser toute espèce de combustible, même les houilles grasses ou la tourbe, en remplaçant le foyer par un calorifère à air chaud séparant la fumée.
Le plus généralement dans les tourailles l’air extérieur est introduit par le cendrier. Il alimente la combustion, et l’air brûlé s’échappe par les trous de la plate-forme, ou les mailles de la toile, au travers du malt qu’il dessèche.
Le feu doit être d’abord très modéré, de manière à élever la température du malt à 50°C au plus, jusqu’à ce que le grain soit presque entièrement sec. Si l’on chauffe à une température plus élevée, à 80° par exemple, pendant que le grain est encore gonflé d’eau ou très humide, l’amidon se gonfle, s’hydrate et s’agglutine en formant empois, puis acquiert une dureté, une cohésion telle qu’il devient ensuite impossible de le dissoudre.
Lorsqu’en desséchant le malt on le chauffe au point de le caraméliser, il y a destruction de la diastase (principe de la saccharification de l’amidon et de la fécule), perte de la matière sucrée, et le goût du moût est moins agréable; il vaut bien mieux employer le caramel pour colorer la bière.
Une disposition nouvelle des tourailles nous a été communiquée par M. CHAUSSENOT; elle consiste dans l’addition d’une 2e plate-forme II au-dessus de la première, et semblable à celle-ci. Les deux plates-formes sont couvertes de grains, et l’air chaud, après avoir traversé la 1re couche, passe encore au travers de la 2e, et, se saturant davantage d’eau en vapeur, est mieux utilisé. Outre cette importante cause d’économie, on obtient une dessiccation plus méthodique et plus graduée. En effet, la 2e plate-forme reçoit toujours le grain le plus humide, et sa dessiccation commence tandis que celle de la couche inférieure finit. On risque beaucoup moins de détériorer le grain par une élévation accidentellement trop forte de température, puisque le grain le plus chauffé est celui qui contient le moins d’eau.
Pendant la dessiccation du malt on le retourne de temps à autre afin d’exposer toutes ses parties à l’action desséchante.

De la séparation des radicelles

Lorsque l’orge germée est suffisamment sèche et encore chaude, on la nettoie complètement de ses radicelles, devenues très fragiles, en la passant dans le bluteau ou tarare, garni d’une toile métallique.
Il ne faut pas craindre que la quantité de ces petites racines séparées soit un cas de perte; elles ne contiennent ni diastase, ni amidon, ni sucre, et leur infusion ne donne qu’une eau rousse d’une saveur désagréable; toutefois, nous devons ajouter qu’en raison de leur forme et de la proportion de matière
azotée que nous y avons observée, elles constituent un engrais capable d’alléger la terre; que, passées sous une meule encore toutes chaudes, elles se broient aisément, et peuvent alors absorber les matières fécales délayées, acquérant ainsi la qualité des plus riches engrais.
100 parties en poids d’orge employée perdent, terme moyen, pendant toute l’opération du maltage, 12; et si l’on ajoute l’eau que le grain contenait, et qui était de 13, la diminution totale s’élève à 25. Ainsi l’on obtient, pour 100 d’orge brute, environ 75 de malt sec.
La bonne préparation du malt se reconnaît à l’odeur agréable, la saveur sucrée, la couleur blanche intérieurement et jaunâtre à l’extérieur, au développement de la plumule, égal à la totalité de la longueur du grain, et mieux encore à son énergie sur la fécule. 100 parties en poids de celle-ci peuvent être dissoutes par 5 de bons malt dans 400 d’eau, en agitant sans cesse et en entretenant au bain-marie la température du mélange entre 65 et 80.

Bières belges, jeune, saison et grisette dans des écrits de 1889

Dans des recherches sur les bières belges, je suis tombé sur deux ouvrages qui ont retenu mon attention.
Dans le premier, “Bulletin de la société liégeoise de la littérature wallonne, Deuxième série, Tome XIII, 1889”, on y trouve un “Glossaire technologique wallon-français du métier des brasseurs par Joseph Kinable” qui remercie Léopold Dejardin pour l’initiation au métier de brasseur.

De ce glossaire, on trouve donc quelques définitions:

Bire, s. f. Bière. Jône bire, saison, orge, s. f. Bière jeune, saison, orge. Nom de la boisson fabriquée par le brasseur. Il y en a à Liège de trois espèces, la bière jeune, la saison et l’orge, celle-ci d’invention récente. Le wallon qui dit oige pour orge quand il s’agit du grain de:ce nom, a conservé à la bière l’appellation d’orge sans la walloniser.
La définition de la bière: “infusion fermentée d’orge germée” ne peut s’appliquer à la bière liégeoise; celle dite jeune et la saison s’obtenaient par unique infusion de l’épeautre germée, le malt d’orge y étant jadis complètement étranger.

Jône bire, s. f. Bière jeune. La bière jeune qui était la seule espèce fabriquée à Liège jusqu’au commencement de ce siècle s’obtenait par le malt d’épeautre, ce qui ne l’empêcha pas de devenir une boisson très recherchée donnant lieu à un important commerce d’exportation. Actuellement, on ajoute une portion très faible de malt d’orge pour fabriquer celte bière dans laquelle entrent communément, pour un brassin, sept sacs de malt d’épeautre, six sacs de froment non malté et un sac de malt d’orge.

Saison (bire di), s. f. Saison (bière de saison). Bière très estimée dans laquelle le malt d’orge est employé, mais en faible proportion. Pour un brassin, on met sept sacs de malt d’épeautre, six sacs de froment non malté et un sac de malt d’orge. Pour la rendre supérieure à la bière jeune, on y ajoute une plus forte quantité (plus du double) de houblon.

Dans le second ouvrage, “Rapport du jury international de l’exposition universelle de 1889 à Paris” sur les produits alimentaires, page 624, concernant la Belgique et les bières qui y sont produites, on peut lire:
“Les bières de fermentation haute constituent le type le plus répandu. Elles se fabriquent dans tout le pays. A ce genre appartiennent d’uitzet des Flandres, la brune, la grisette du Hainaut, la saison de Liège, Forge d’Anvers, les bières blanches de Louvain et les belles et fortes bières qui luttent si avantageusement contre la faveur dont jouissaient les bières anglaises.
Les bières de fermentation spontanée se rencontrent spécialement dans le Brabant. Elles ont pour type le lambic et le faro. Le lambic est la bière la plus dense qu’on fabrique en Belgique. Il accuse généralement, avant fermentation, une densité de 1.070. Au moment du débit, le lambic a une force alcoolique que l’analyse indique comme étant de 10 à 12 p. 100.
Le faro est obtenu par un mélange en proportions variables de lambic et de bière de mars.”

Concernant la bière de saison, on retrouve dans un traité de Jules Cartuyvels de 1879:
“Pour un brassin de 65 à 70 hectolitres de bière jaune, on emploie, en moyenne, 850 à 900 kilogrammes de matière farineuse, mi-partie épeautre germée, mi-partie froment cru.”
Il y avait 4 trempes dont 3 à l’eau bouillante et une ébullition assez vive de 7 à 8 heures avec 1/2 livre de houblon léger par tonne de moût, soit environ 2g/l.

“Pour préparer la bière de saison, qui […] ne se consomme que 4 à 6 mois après sa fabrication, les proportions de matières farineuses sont les mêmes, mais ne produisent que 42 à 45 hectolitres de bière. […] Les trois premiers métiers subissent une ébullition très-vive pendant 6 à 8 heures avec une livre de bon houblon jeune par tonne de bière. […] pour la saison, les houblons de Bavière sont préférés.”

On voit que les écrits s’accordent bien sur les matières premières, avec un peu moins de houblon que décrit ici en 1837.

La bière de saison serait donc ce que le nom implique, une bière faite pour être conservée en tonneaux empesés ou goudronnés jusqu’à la saison prochaine ou celle d’après.

La Berliner Weisse – Partie 3/3 – Production amateur

Comme nous l’avons vu dans les articles précédents, la Berliner Weiße a changé au fil du temps et a été brassée différemment selon les brasseries. Il n’existe donc pas de recette de Blanche de Berlin. Au contraire, on peut choisir parmi les différents procédés et recettes qui conviennent le mieux aux possibilités de son propre système de brasserie et à ses goûts. Continue reading “La Berliner Weisse – Partie 3/3 – Production amateur”

La Berliner Weisse – Partie 2/3 – Le Brassage

Au fil des années, la technologie utilisée pour brasser la Berliner Weiße a changé à maintes reprises et était également différente dans chaque brasserie. Les sources sont souvent contradictoires et difficiles à interpréter en raison de mesures incohérentes. Peu d’informations datant du XVIIe siècle ont survécu.

XVIIIe siècle

Johann Samuel Halle [2] et Johann Georg Krünitz [3] savent que depuis le milieu du 18ème siècle la bière de froment berlinoise a été faite à partir d’un mélange à parts égales ou à 2:1 de blé et d’orge maltés qui étaient brassés pendant environ 1 heure ½. Après la filtration sur paille, le moût était bouilli avec un peu de houblon. Le mout était placé dans une cuve en bois et ensemencé puis au bout de 5 à 6 heures du début de la la fermentation commençait, la jeune bière était transférée dans des fûts, puis était généralement mise en bouteille au ‘Bierschenker’.

La durée de conservation était réduite: Halle écrit 8 jours en été et 14 jours en hiver. L’acidification n’était pas délibérément provoquée, car l’ébullition du moût le rendait exempt de germes. Avec la levure, “qui venait de Kottbus par la poste”[2], on s’assurait aussi qu’elle ne soit pas acide et contaminée. Mais en filtrant avec de la paille et en travaillant dans des cuves de fermentation et des fûts en bois, qui abritaient de nombreux micro-organismes dans leurs pores, il n’était guère possible de contenir les bactéries lactiques et acétiques[1].

XIXe siècle

Notre idée de la Berliner Weiße est principalement basée sur le style brassicole du 19ème siècle. Au cours de cette période, des brasseries spécialisées de bière de blé ont été créées, et brassaient plus ou moins selon des technologies fixes et reproductibles, dans lesquelles affluaient de plus en plus de découvertes scientifiques, auxquelles l’Institut de recherche et de formation en brasserie de Berlin (VLB), fondé en 1882, a notamment contribué.

L’une des principales différences avec les méthodes du 18ème siècle était l’abandon de l’ébullition du moût. Cela devait permettre aux micro-organismes présents sur le malt de se retrouver dans le moût et la bière. Cependant, des études menées au début du 20ème siècle ont montré la culture mixte de levures d’ensemencement avait une contribution significativement plus importante à la microflore, en particulier aux bactéries lactiques du moût.

La température de la maische, dans le processus d’infusion, était ajustée avec de l’eau bouillante. Le rinçage était effectué à environ 72°C. Après refroidissement, une culture mixte de levure de fermentation haute et de bactéries lactiques était utilisée. Le degré d’acidification pouvait dans une certaine mesure être contrôlé par la température de fermentation, qui se situait généralement entre 12 et 18°C – des températures plus élevées favorisant la multiplication des bactéries lactiques et assurant ainsi une acidification plus prononcée.

Le houblonnage était réalisé par du houblon bouilli dans l’eau de brassage. La quantité indiquée est de 0,75 à 1 kg de houblon pour 100 kg de malt, ce qui devait amener à une valeur d’amertume inférieure à 10 IBU, c’est-à-dire une amertume à peine perceptible.

La bière de blé était mise en bouteille dans des bouteilles vertes, où la teneur en acide carbonique souhaitée était obtenue par fermentation secondaire pendant 8 à 14 jours. Le remplissage et la fermentation secondaire étaient effectués par le distributeur de bière, qui recevait la jeune bière de la brasserie en barriques.

XXe siècle

La procédure du XIXe siècle présentait deux faiblesses majeures. D’une part, il s’agissait de la contamination fréquente de la bière par des pediocoques, ce qui conduisait à une consistance visqueuse de la bière, appelée “filante”. La cause en était le manque de cuisson et la nidification des bactéries dans les cuves en bois. Pour y remédier, outre l’utilisation de cuves métalliques plus faciles à nettoyer, Schönfeld recommande, entre autres, de porter la température de brassage à 85°C ou de faire bouillir brièvement le moût.

Le deuxième problème était l’instabilité de la culture mixte de levure et de bactéries lactiques. L’acidification ne pouvaient pas être adéquatement contrôlée par la température de fermentation et la composition de la culture était variable. Afin de stabiliser l’acidification, il a été recommandé d’utiliser un procédé en deux parties, dans lequel seule une partie de la bière était fortement acidifiée par l’ajout d’une culture de bactéries lactiques, tandis que l’autre partie était ensemencée avec une levure pure. Le degré d’acidification pourrait alors être ajusté en mélangeant les deux jeunes bières.

Schönfeld

Franz Schönfeld donne un aperçu des procédures des années 30 dans[4]. Le malt de blé et d’orge était mélangés et moulus dans un rapport de 3:1 à 4:1 et brassés selon un procédé à deux ou trois décoctions, plus rarement par infusion.

Les cônes de houblon étaient pressés et bouillis dans l’eau de brassage dans une quantité de 750-1000 g pour 100 kg de malt. Une estimation de l’amertume est difficile de nos jours, car ni la teneur en acide alpha ni le temps de cuisson et donc l’extraction d’amertume ne sont indiqués. En supposant une teneur en acide alpha de 4 %, une extraction de 20 % et un rendement de brassage de 75 %, on obtient une bière avec un moût original de 9°P d’environ 8 à 10 IBU.

La bière était généralement préparée sans ébullition du moût, directement de la cuve de refroidissement dans la cuve de fermentation avec une culture mixte de levure et de bactéries lactiques et fermentée dans des cuves ouvertes. Bien que Schönfeld recommande de chauffer le moût à au moins 85-88°C ou mieux de le faire bouillir brièvement pour éviter les infections par Sarcina, la peur de la perte de goût incite la plupart des brasseries à ne pas bouillir. Selon la température, le ratio des cellules de levure – bactéries lactiques se situe entre 4:1 et 6:1 ; des températures de fermentation plus élevées (17-20°C) favorisent la multiplication des bactéries lactiques et conduisent à une acidification plus forte que les températures inférieures (14-18°C).

La culture mixte était récoltée et réutilisée dans le brassin suivant ; il n’y avait pas de propagation pure. La fermentation secondaire se déroulait en bouteilles, avec une addition de 10-15% de matière fermentescible, à 12-16°C pendant 2 à 3 semaines. Au cours de la fermentation secondaire et en particulier de la maturation ultérieure, les levures Brettanomyces entraient en jeu et donnaient les arômes fins typiques.

Methner

En 1987, le professeur Methner de l’Université technique de Berlin a traité dans sa thèse[7] la question de savoir ce qui constitue l’arôme de la bière blanche berlinoise et quels acides et esters sont impliqués. Sa conclusion : La présence de levure Brettanomyces bruxellensis est obligatoire dans la bière Berliner Weiße de fabrication traditionnelle. L’arôme est fortement influencé par cette levure. Seule la culture mixte de Lactobacillus et Brettanomyces produit le mélange caractéristique d’esters et d’acides. En ce sens, elle est très proche de la Gueuze belge.

En ce qui concerne le comptage cellulaire, Methner explique que les lactobacilles doivent être présents dans une proportion au moins égale, sinon plus élevée que les saccharomyces pour assurer une acidification suffisante. Sinon, les saccharomyces empêchent la croissance des bactéries lactiques ce qui entraîne une acidification insuffisante. Selon Methner, les bactéries lactiques ne contribuent guère à la formation des arômes ; elles ne font qu’assurer une acidification suffisante.

Methner recommande un procédé avec fermentation lactique séparée pour garantir une qualité constante, en particulier un degré d’acidification défini du Berliner Weißen. Le moût acidifié est ensuite pasteurisé et fermenté avec de la levure de bière. La levure Brettanomyces est ensuite ajoutée pour la fermentation secondaire. De cette façon, les souches pures de micro-organismes issus de la sélection peuvent être utilisés à toutes les étapes.

Willner

Les informations les plus précises sur les chiffres clés de la production de bière de blé de l’après-guerre viennent de la brasserie Willner qui, jusqu’en 1990, a fait partie du regroupement de brasseries VEB de Berlin et a produit la Weiße de Berlin-Est. L’équipement de la brasserie était le même qu’avant la Seconde Guerre mondiale, à l’exception de quelques changements, principalement dans le refroidissement et l’embouteillage. Même la machine à vapeur de 28 CV pour la salle de brassage a fonctionné jusqu’à sa fermeture en 1990.

Chez Willner, 85 à 120 hl  peuvent être produits par brassin. Pour 85 hl de moût, une tonne de malt de blé et d’orge produits par sa propre malterie sont mélangé à parts égales , soit un peu moins de 12 kg par hectolitre (rendement de la brasserie : 76%). La maische est produite par décoction au cours de laquelle le houblon en ajouté lors de l’ébullition partielle de la maische.

On ajoutait 3,6 g d’acide alpha en extrait de houblon ou de pellets par hectolitre de moût épais (4,2 g/hl de bière prête à boire)[1], ce qui donnait une amertume d’environ 10 IBU pour les blanches  standard avec un moût titrant 9°P. Le moût était soutiré clair à 78°C et porté à la température de fermentation à l’aide de refroidisseurs à plaques sans aucune ébullition.

L’entreprise employait une culture mixte de levures et de bactéries lactiques dans une quantité de 0,2 litre par hectolitre. La culture était introduite avec le premier mout. La cuve de décantation avait une capacité de 3 brassins. Chaque jour, un brassin était soutiré en cuve de fermentation, puis un autre brassin était amené en cuve de décantation. Après environ 60 heures de fermentation, la levure était récoltée à l’aide d’écumoires. Après 3 bons jours de fermentation, le contenu du fermenteur était envoyé en maturation.

La bière finie était coupée avec de la bière jeune à 3% d’extrait et soit mise en bouteille dans la brasserie et affinée pendant au moins 10 semaines avant la vente, soit livrée au distributeur en camions-citernes. La bière de blé était refroidie et très peu filtrée pour la mise en fûts.

En plus de la version standard de la Berliner Weiße avec une gravité originale de 9°P, une Doublewieße ou Märzenweiße comme Vollbier [5] avec une gravité originale de 12-14°P[4] et une Berliner Weiße Starkbier[5] étaient parfois brassés.

Kindl

La production moderne de Berliner Weißen chez Schultheiß-Kindl suit essentiellement un procédé brevetée de Barrach[6], selon lequel seulement 20% environ du moût est acidifié avec une culture pure de bactéries lactiques et fermenté à environ 30°C, tandis que les 80% restants sont fermentés avec une levure haute fermentation. En mélangeant ces deux bières, le degré d’acidité peut être ajusté à volonté. Avant la mise en bouteille, la bière passe à travers un filtre de stérilisation afin d’empêcher toute fermentation ultérieure dans la bouteille.

L’avantage de ce procédé est qu’il est possible de fixer de manière fiable un niveau d’acidification donné et de reproduire ainsi une bières aux propriétés constantes. Pour les fermentations partielles, on peut utiliser des souches pures de levures et de bactéries. La perte de goût due à l’absence de fermentation mixte et surtout à l’absence de levure Brettanomyces dans la seconde fermentation est acceptée.

Francke a suggéré une procédure similaire dès 1906, selon laquelle l’acidification avec des bactéries lactiques devrait avoir lieu avant la fermentation proprement dite. Pour ce faire, le moût doit être ensemencé à 45-47°C avec une culture pure d’acide lactique et fermenté pendant 5-7 heures. La fermentation lactique est ensuite arrêtée par chauffage à environ 80°C. La fermentation alcoolique proprement dite se fait avec une levure de fermentation haute pure. Ce procédé souffre également de la même perte de goût et n’a donc été utilisé que pendant une courte période à l’époque.

Chiffres clés

La définition de la Berliner Weiße a changé au fil du temps. Au 19e siècle, elle était surtout brassée comme “bière pleine” (Vollbier[5]), mais elle était souvent diluée avec de l’eau par le distributeur. Ce n’est qu’avec la loi de la taxe sur la bière de 1909 que tout ajout subséquent d’eau a été interdit. A cette époque, la Berliner Weiße était brassée comme “bière pression” (Schankbier[5]).

L’acidification et le degré de fermentation ont été soumis à de fortes fluctuations en raison d’un manque de connaissance des processus impliqués dans le brassage et la fermentation aux 18e et 19e siècles. La bière a également constamment évolué pendant la garde, car les micro-organismes, en particulier les Brettanomyces, ont continué à fermenter pendant une longue période.

Les derniers chiffres-clés de la Berliner Weiße classique (de l’Est) proviennent des spécifications de qualité de la TGL 7764 de la RDA de 1986[8] :

Spécification des bières en RDA dans les années 80

Moût initial: 7-8%
Atténuation de la fermentation: min. 75% (apparent)
Teneur en CO2: min. 0,6%.
Couleur: 9-15 EBC

D’autre part, les valeurs suivantes pour la Berliner Weiße sont données dans[9] pour l’année 1992 :

Moût initial: 7,1-7,5%.
Atténuation de la fermentation: 80-90% (apparent)
Teneur en CO2: 0,6-0,8%.
Couleur: 4,5-6 EBC
Degré d’alcool: 2,9 – 3,6 % vol.
pH: 3,3 – 3,6
Amertume: 3,0 – 4,4 IBU

Grâce à l’amélioration des matières premières et de l’ingénierie des procédés, la Weiße a ainsi pu être produite plus pale et plus atténuée en 1992 avec la même densité initiale de mout. L’amertume était très faible. La teneur en acide lactique a été ajustée à 1 – 1,5 g/l avec une fermentation lactique séparée et la fermentation secondaire avec Brettanomyces n’était plus de rigueur.

  1. Gerolf Annemüller, Hans-J. Manger, Peter Lietz: “Die Berliner Weiße – Ein Stück Berliner Geschichte” VLB Berlin 2008 ISBN 978-3-921690-58-1
  2. Johann Samuel Halle: “Werkstätte der heutigen Künste oder die neue Kunsthistorie”, Vierter Band, Brandenburg und Leipzig, 1765 31. Abhandlung, Der Bierbrauer, S. 100ff
  3. Johann Georg Krünitz: “Oekonomische Encyklopädie oder allgemeines System der Staats-, Stadt, Haus- und Landwirtschaft in alphabetischer Ordnung”, 5. Teil, Berlin, 1784, S. 1ff
  4. Prof. Franz Schönfeld: “Obergärige Biere und ihre Herstellung” Kap. B1, S. 149-160: “Das Berliner Weißbier” Verlag Paul Parey, Berlin, 1938
  5. Einfachbier (bière “simple”) densité initiale de 2°P à 5.5°P; Schankbier (littéralement “bière pression”) 7°P à 8°P; Vollbier (littéralement “bière pleine”) 11°P à 14°P; Starkbier (littéralement “bière forte”) 16°P et plus. Il y a bien des vides dans cette classification de taxation, ce qui signifie qu’avant 1993 les brasseurs allemands ne pouvaient pas brasser des mouts de 5.6°P à 6.9°P, 8.1°P à 10.9°P, ou de 14.1°P à 15.9°P!
  6. W. Barrach: Verfahren zur Herstellung eines Berliner Weißbieres mit konstantem Säuregrad Deutsche Patentschrift Nr. 958 464 vom 23.8.1956
  7. Prof. Dr.-Ing. Frank-Jürgen Methner: “Über die Aromabildung beim Berliner Weißbier unter besonderer Berücksichtigung von Säuren und Estern” Dissertation an der TU Berlin, 1987
  8. WTÖZ der Brau- und Malzindustrie Berlin, Fachbereichsstandard TGL 7764 Biere; Gütevorschriften, Berlin, 1986
  9. E. Krüger und H.-M. Anger: Kennzahlen zur Betriebskontrolle und Qualitätsbeschreibung in der Brauwirtschaft, Kap. 9.2.11 Berliner Weiße, Behr Verlag, Hamburg, 1992